Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/364

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’il craint pour ses mots ? La diction de Fabianus ne sentait point la négligence, mais la sécurité. Aussi n’y trouveras-tu rien de bas : il choisit ses termes sans courir après ni les placer selon le goût du siècle, au rebours de l’ordre naturel. Ils ont de l’éclat, quoique pris de la langue ordinaire ; sa pensée, noble et magnifique, n’est point écourtée en sentence : elle se développe largement. Tu trouveras chez lui des manques de précision, des structures de phrase peu savantes ou qui n’ont pas notre poli moderne ; mais, l’œuvre entière bien considérée, on n’y voit rien d’étroit et de vide. Là sans doute, ni variétés de marbres, ni salons entrecoupés de canaux d’eaux vives, ni cabane du pauvre[1], ni tout ce qu’un luxe dédaigneux de la belle simplicité entasse de disparates ; mais, comme on dit, la maison est bien construite.

Ajoute qu’en fait de composition oratoire on n’est pas d’accord. Les uns lui veulent une nudité sauvage pour parure ; d’autres l’aiment raboteuse, au point que si le hasard leur amène une période un peu harmonieuse, ils la démembrent tout exprès, ils en brisent les cadences, de peur qu’elle ne réponde à l’attente de l’oreille. Lis Cicéron : sa composition est une ; souple et posée, molle sans être efféminée[2].

Asinius Pollion : style rocailleux et sautillant, qui laisse l’oreille au dépourvu où l’on y pense le moins. Cicéron n’a que d’heureuses désinences ; chez Pollion tout est cascade, sauf quelques phrases bien rares sorties d’un moule convenu et d’une structure uniforme.

Pour Fabianus, il va, dis-tu, terre à terre et s’élève peu : je ne crois pas que tel soit son défaut. Il n’y a pas chez lui manque de grandeur ; c’est du calme, c’est le reflet d’une âme habituellement paisible et tempérée ; il est uni, mais sans bassesse. Il n’a pas cette vigueur oratoire, ces aiguillons que tu demandes, ces sentences frappantes et soudaines76 ; mais vois le corps tout entier : bien que sans apprêt[3], il a sa beauté. La dignité, son discours ne l’a pas, elle est au fond de sa doctrine. Montre-moi qui tu pourrais préférer à Fabianus. Je te passe Cicéron, dont les œuvres philosophiques sont presque aussi nombreuses que les siennes ; mais s’ensuit-il qu’on soit un nain dès qu’on n’a pas la taille du géant ? Je te passe Asinius Pollion et je

  1. Voy. Consolation à Helvia, XII. Lettre XVIII et la note.
  2. Voy. Lettres XL (gradarius fuit il allait au pas), et CXIV
  3. Je lis, avec Gruter: quanquam sit incomptum