Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous tout dit ? Eh bien, il est pauvre. » Comment ? « Parce qu’il doit. » Combien ? « Tout ce qu’il a. » N’est-ce pas la même chose à vos yeux d’emprunter aux hommes que d’emprunter à la Fortune ? Que me font ces mules rebondies, toutes de couleur pareille ? Et ces voitures ciselées ?

L’or se mêle aux dessins de leur housse écarlate ;
L’or brille aux longs colliers sur leur poitrail pendants,
Et des freins d’or massif sont rongés sous leurs dents
[1].

Tout cela ne fait pas que le maître en vaille mieux17, non plus que la mule. M. Caton le censeur, dont la naissance fut aussi heureuse pour la République que celle de Scipion, car si l’un fit la guerre à nos ennemis, l’autre la fit aux mauvaises mœurs, Caton montait un méchant bidet, et portait en croupe un bissac, pour avoir avec lui l’indispensable. Oh ! s’il pouvait aujourd’hui se rencontrer avec l’un de ces élégants, si magnifiques sur les grands chemins, escortés de coureurs, d’écuyers numides, de torrents de poussière qu’ils chassent devant eux[2] ! Caton sans doute paraîtrait moins bien équipé, moins bien entouré que le raffiné qui, au milieu de tout cet appareil, en est à se demander s’il se louera comme gladiateur ou comme bestiaire. Siècle glorieux que celui où un général triomphateur, un censeur de Rome et plus que tout cela, un Caton se contentait d’un seul cheval qui n’était pas même tout pour lui : car moitié était occupée par son bagage pendant de chaque côté de la selle. À tous ces coursiers brillants d’embonpoint, à ces andalous, à ces agiles trotteurs ne préférerais-tu pas l’unique cheval de Caton, pansé par Caton lui-même ?

Mais, je le vois, une telle matière serait sans terme, si moi-même je ne finissais. Je n’en dirai donc pas davantage de ces équipages de route qu’on devinait sans doute devoir être un jour ce qu’ils sont, quand on les appela pour la première fois impedimenta, des embarras. Je veux en revanche t’entretenir encore de quelques syllogismes de notre école au sujet de la vertu, qui, nous le prétendons, satisfait à toutes les conditions du bonheur. « Ce qui est bon rend l’homme bon, de même que ce qu’il y a de bon dans l’art musical fait le musicien ; les dons du hasard ne font pas l’homme bon ; ce ne sont donc pas des biens. » À quoi les péripatéticiens répondent que le premier

  1. Énéide, VII, 277. Barthélemy.
  2. Voir Lettre CXXIII.