« Mais je sens de cruelles douleurs ! » Qu’est-ce à dire ? Les sens-tu moins quand tu les supportes en femme ? De même que l’ennemi est surtout fatal aux fuyards ; ainsi les désagréments de l’extérieur harcèlent bien plus quiconque veut s’y dérober et tourner le dos. « Mais la charge est lourde ! » Eh ! n’avons-nous reçu la force que pour de légers fardeaux ? Lequel préfères-tu, que la maladie soit longue, ou qu’elle soit violente et courte ? Longue, tu as du relâche, elle donne moyen de respirer, de longs moments où elle fait grâce : il lui faut ses heures d’irritation et de calme. Une maladie courte et précipitée s’éteindra d’elle-même ou elle m’éteindra. Or où est la différence, qu’elle finisse ou que je finisse ? Dans les deux cas plus de souffrance.
Tu te trouveras bien aussi de distraire ton esprit vers d’autres pensées et de l’enlever à celle de la douleur. Rappelle-toi tout ce que tu as fait d’honorable et de courageux : considère les beaux côtés du rôle humain, promène tes souvenirs sur les grands traits qui ont le plus excité ton admiration. Évoque ces hommes intrépides qui triomphèrent de la douleur, celui qui pendant que l’on incisait ses varices n’en poursuivait pas moins sa lecture ; celui qui ne cessa pas de rire, alors qu’irrités par là même les bourreaux épuisaient sur lui tous les raffinements de la cruauté. La raison ne vaincra-t-elle pas la douleur que le rire a vaincu ? Cite-moi telle affection que tu voudras, catarrhe, toux violente et continue qui arrache les poumons par lambeaux, fièvre qui dévore les entrailles, tourments de la soif, membres distordus par le mal qui en déjette les articulations ; ce qui est pire, c’est la flamme des tortures, le chevalet, les lames ardentes, et le fer enfoncé dans la tumeur même de la plaie pour la raviver, pour creuser encore plus avant. Au milieu pourtant de tous ces supplices, tel homme a pu ne point gémir, que dis-je ? ne point supplier, ne rien répondre : il a pu rire et rire franchement[1]. Et tu n’oserais pas, après cela, te railler de la douleur ?
« Mais la maladie ne me permet de rien faire, de vaquer à aucun devoir. » Ton corps seul est valétudinaire, ton âme ne l’est point. La maladie arrête les pieds du coureur, enchaîne les mains du cordonnier et de l’artisan. Mais si tu as coutume d’employer ton intelligence, tu pourras donner conseils et leçons, écouter, apprendre, interroger, te ressouvenir. Après tout, n’est-ce rien faire que d’être un malade raisonnable ? Tu feras
- ↑ Voy. Lettre LXXXV.