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songe? » Si tu te l’es persuadé, si tu t’es passionné pour la vertu, car l’aimer serait peu, tout ce que tu éprouveras à cause d’elle sera pour toi, quoi qu’en jugent les autres, heureux et prospère, la torture même, quand sur le chevalet tu demeureras plus calme que tes bourreaux ; la maladie, si tu ne maudis point ton sort et ne cèdes point à la souffrance. En un mot, tout ce qui aux yeux des autres est réputé maux s’adoucira et se tournera en biens si tu parviens à le dominer. Qu’il te soit démontré qu’il n’y a de bien que l’honnête ; et tous les désagréments de la vie tu les appelleras à bon droit des biens, quand du moins la vertu les aura ennoblis. Bien des gens s’imaginent que nous promettons plus que ne peut tenir l’humaine condition ; et ils ont raison, s’ils ne considèrent que le corps : qu’ils regardent à l’âme : c’est sur Dieu qu’ils mesureront l’homme.

Élève haut ta pensée, sage Lucilius, laisse là les puérilités littéraires de ces philosophes qui ravalent la plus magnifique chose à un jeu de syllabes ; dont les minutieux enseignements rapetissent et énervent l’esprit ; et tu te placeras au niveau des inventeurs non des précepteurs de ces dogmes, qui s’évertuent à faire voir dans la philosophie plus de difficultés que de grandeur.

Socrate qui ramena toute la philosophie à la morale, a dit aussi que le sommaire de la sagesse est de savoir discerner les biens et les maux. Suis donc de pareils guides, si j’ai sur toi quelque crédit, et tu seras heureux ; consens à passer pour déraisonnable aux yeux de certains hommes. Essaye qui voudra contre toi l’outrage et l’injustice ; tu n’en souffriras rien, si la vertu est avec toi. Oui, veux-tu être heureux et franchement homme de bien, il est des mépris qu’il te faut accepter[1]. Nul n’est capable de cet effort, que celui pour qui tous biens sont égaux, vu que le bien n’est pas sans l’honnête et que l’honnête est dans tout bien au même degré.

« Mais quoi ! Est-il égal que Caton soit nommé à la préture ou qu’il en soit exclu ? Est-il égal qu’aux champs de Pharsale il soit défait ou victorieux ? Ce bien, de demeurer invincible dans un parti vaincu, valait-il cet autre bien de rentrer vainqueur dans sa patrie et d’y rétablir la paix ? » Pourquoi non ? C’est la même vertu qui surmonte la mauvaise fortune et qui règle la bonne : or la vertu ne peut ni grandir ni décroître : elle est toujours de même stature. « Mais Cn. Pompée perdra son armée ; mais cet impo-

  1. Voir Lettre LXXVI