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DU REPOS


Tu me diras : « Que fais-tu, Sénèque ? Tu désertes ton drapeau. Si je ne me trompe, tes stoïciens disent : Jusqu’au dernier terme de notre vie nous serons agissants, nous ne cesserons de vouer nos soins au bien de tous et au soulagement de chacun, de tendre même à nos ennemis une main secourable et bienveillante. Nous sommes de ceux qui n’octroient de congé à aucun âge, et, comme s’exprime éloquemment le poëte :

Sur nos cheveux blanchis le casque pèse encore[1].


Nous sommes de ceux qui, loin de rien donner avant la mort à l’oisiveté, ne souffrent pas même, s’il se peut, que ce dernier instant lui appartienne. Pourquoi donc nous tenir le langage d’Épicure sous la tente de Zénon ? Que n’agis-tu plus résolument ? te déplais-tu chez lui, fais-toi transfuge plutôt que traître. »

Voici dès maintenant ma réponse : Me demandes-tu quelque chose de plus que de me modeler sur mes chefs ? Eh bien ! j’aurai été non où ils m’envoient, mais où ils me mènent.

XXIX. Bien plus, je te prouverai que je ne suis pas infidèle aux préceptes des stoïciens, qui eux-mêmes ne les trahirent jamais ; et encore serais-je fort excusable quand ce ne serait pas leurs préceptes que je suivrais, mais leurs exemples.

Je diviserai en deux points ce que j’ai à dire : je ferai voir d’abord qu’on peut, dès le jeune âge, se vouer tout entier à la contemplation du vrai, se chercher une règle de vie, et s’y conformer dans la retraite ; en second lieu, que c’est surtout au guerrier émérite et à l’âge de vétérance qu’il appartient d’agir ainsi et de tourner sa pensée vers des fonctions d’un autre ordre, comme ces vierges de Vesta qui, partageant leurs années entre divers offices, apprennent le service de l’autel, puis, quand elles l’ont appris, l’enseignent aux novices.

XXX. Je montrerai que telle est aussi l’opinion des stoïciens, non que je me sois imposé la loi de ne rien hasarder contre le dire de Zénon ou de Chrysippe[2], mais parce qu’ici la chose même permet que je me range à leur avis : suivre toujours l’opinion d’un seul n’est pas d’un sénateur, mais d’un homme de parti. Plût aux dieux que tous les principes fussent trouvés, que la vérité parût sans voile, et confessée de tous ! Nous ne changerions rien à ses décrets : jusqu’ici nous la cherchons avec ceux mêmes qui l’enseignent.

  1. Énéid. IX, 612.
  2. Voir De la tranquillité de l’âme, I, I, et Lettre XXXIII.