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ces stigmates se sépareroient, & il faudroit employer trop de temps à les ramasser. D’ailleurs les connoisseurs ne sont pas fâchés de voir un petit bout de blanc, parce qu’il arrive que quelques paysans mêlent du safranum ou carthame (consultez ce mot) avec le safran, & ce petit bout blanc sert à reconnoître la fraude.

Les acheteurs redoutent sur-tout de trouver des fragmens des pétales dans le safran, parce que ces parties qui se moisissent, lui communiquent une mauvaise odeur. Comme les étamines n’ont aucune odeur, elles doivent être regardées comme des parties étrangères ou au moins inutiles : quand les éplucheuses s’apperçoivent qu’il en reste quelques-unes attachées au pistil, elles les font tomber en frappant le poignet de la main droite sur la table. Tout cela s’exécute si promptement, qu’une éplucheuse habile peut charger son assiette d’une livre de safran vert dans l’espace d’une journée.

Quoiqu’une famille entière soit occupée jour & nuit à éplucher le safran, ceux qui en recueillent une quantité considérable, sont obligés de louer des cueilleuses pendant un mois entier, qui est à peu près le temps que dure la récolte. On voit à cette époque transporter dans les villes & dans les villages où l’on ne cultive point cette fleur, des charretées de safran à éplucher : on paye ordinairement cet épluchement à raison de cinq ou six sols la livre, mais quelquefois aussi jusqu’à quarante & cinquante sous, suivant que la fleuraison est abondante, ou que les fleurs sont plus ou moins difficiles à éplucher.

À mesure qu’on épluche le safran, il faut le faire sécher au feu ; & comme cette opération exige beaucoup d’attention, c’est ordinairement le maître ou la maîtresse de la maison qui prend ce soin, parce qu’un feu trop vif pourroit tout perdre. Pour faire sécher le safran, il y a quelques provinces où l’on le met dans des terrines dont le bord est cassé d’un côté ; d’autres le font sécher dans des espèces de tourtières ; mais dans le Gâtinois on l’étend en le soulevant sur des tamis de crin à l’épaisseur d’environ trois doigts. On suspend ces tamis avec des cordes à environ un pied & demi de terre ; on met au-dessous de la braise allumée & couverte de cendre chaude, & à mesure que le safran perd son humidité, on le remue doucement & on le retourne : si le feu étoit trop vif, le safran se brûleroit & seroit presqu’entièrement perdu. La fumée lui communique une mauvaise odeur, & lui fait perdre l’éclat de sa couleur. Quand le safran est sec au point de se briser entre les doigts, on le met dans des boîtes garnies de papier & qui ferment exactement. Quand les paysans sont sur le point de vendre leur safran, ils mettent pendant un jour ou deux leurs boîtes à la cave, afin d’augmenter le poids de leur marchandise ; mais les facteurs ou les commissionnaires humectent beaucoup plus & quelquefois au point de le faire pourrir. Le prix du safran est fort diminué depuis quelque temps, car on le vendoit autrefois jusqu’à vingt écus la livre, & maintenant il ne vaut communément que vingt à vingt-quatre livres.

La première année, un arpent produit tout au plus quatre livres de