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s’habituer à nos gelées d’Europe ; j’avois déjà observé qu’elle s’étoit étendue, de proche en proche de la Caroline du sud, jusqu’aux environs de Boston, où je l’avois rencontrée par-tout, dans des endroits beaucoup plus froids que la France. Je l’ai ensuite retrouvée, au jardin du Roi, à Paris ; je l’y observai soigneusement pendant les deux derniers hivers, & y vis avec satisfaction, qu’à chaque printemps elle se reproduisoit d’elle-même par ses racines. Lorsque les hivers sont très-rigoureux, M. Thouin a observé que la plante périssoit, mais que dans cas même, elle pourroit encore se resemer par ses propres graines, sans qu’on fut obligé de la semer chaque année ».

» Ce que je viens de dire prouve l’avantage de cette plante sur les fourrages artificiels qui n’ont point, à beaucoup près, les qualités des graminées ;[1] telle est la luzerne & beaucoup d’autres plantes légumineuses qui, outre qu’elles occasionnent mille maladies mortelles aux animaux[1] qu’on en nourrit uniquement ne peuvent d’ailleurs être regardées que comme des analeptiques, des espèces de cordiaux, & non comme a base de leur nourriture ; aussi voyons-nous que, de même que le pain tiré de la classe nombreuse des graminées, est de tous les alimens celui qui nous convient le mieux, de même aussi les fourrages de cette même classe sont l’aliment le plus salutaire aux animaux herbivores & le moins sujet à inconvéniens ».[1]

» On sait, par expérience, que l’herbe de Guinée se plaît sur toute sorte de terrains ; mais on sait en même-temps que la graine qui sera tirée du Cap, conviendra beaucoup mieux à nos provinces méridionales de France, & celles de Philadelphie & de Boston, à celles du nord ; parce que ces dernières ont déjà voyagé & qu’elles se sont plus rapprochées du nord. Les négocians des villes de Bordeaux, de Marseille, ont des correspondances continuelles avec le Cap-François, & aujourd’hui avec les nouveaux États-Unis de l’Amérique, c’est à eux à devenir les bienfaiteurs de leur patrie, en couvrant de ce fourrage précieux l’espace immense de landes qui séparent Bayonne de Bordeaux. Les bretons en retireront le même avantage ; on parviendra peut-être encore, avec le secours de cette plante, à fixer le sol mobile des dunes, si communes depuis Bayonne jusqu’à Calais ».

Je n’ai jamais connu ni vu la plante dont il est question dans le mémoire de M. de Létang ; si sa culture réussit dans nos provinces méridionales, sur-tout dans les friches du reste du royaume, ce bon patriote aura aussi bien mérité de sa patrie, que

  1. a, b et c Note de l’Éditeur. Ce n’est pas le cas d’examiner si les graminées sont intrinsèquement meilleures ou moindres que les plantes légumineuses, mais il paroît que l’Auteur ignore que dans plusieurs cantons de nov provinces méridionales, la luzerne pst le seul fourrage consommé par les chevaux, par les bestiaux, &c., & que ce fourrage n’a pas plus d’inconvénient que celui qui est fourni par les graminées. S’il devient dangereux, c’est par accident, & accident qui tient toujours à la négligence des bouviers, des valets d’écurie qui laissent l’animal se gorger de fourrage avant qu’il soit sec. Pour trop prouver, on ne prouve rien. (Consultez le mot Luzerne)