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tenir à leurs foibles lumières. A. X.


PLANTER. C’est mettre en terre les racines d’une plante, les recouvrir, afin que la plante reprenne, végète & croisse.

Qu’il me soit permis de répéter ce que le chevalier de Jaucour a fait imprimer dans le Dictionnaire Encyclopédique, au mot Plantation : « Quelqu’un a dit d’un citoyen industrieux & bienfaisant, qu’on peut le suivre à la trace ; ces deux mots peignent à merveille les soins d’un homme honnête qui, en cultivant des terres, y a laissé des marques de son industrie & de son amour pour ceux qui lui succéderont. Ces réflexions ne viennent que trop à propos dans un siècle où les arts les plus utiles à la conservation de la société, sont entièrement négligés, & les soins de la postérité pleinement abandonnés, si même ils ne sont pas tournés en ridicule. Nos forêts ne nous fourniroient plus de bois pour bâtir si nos ancêtres avoient pensé d’une façon si basse & si méprisable. »

» Les tartares du Dagestan, tout tartares qu’ils sont, habitans un pays stérile, ont une coutume excellente qu’ils observent soigneusement, & qui leur tient lieu de loi. Personne chez eux ne se peut marier, avant d’avoir planté en un certain endroit marqué, cent arbres fruitiers, en sorte qu’on trouve actuellement partout dans les montagnes de cette contrée d’Asie, de grandes forêts d’arbres fruitiers de toute espèce.[1] On ne trouve au contraire en France que des pays dénués de bois, dont ils étoient autrefois couverts. Le dégât & la consommation en augmentent tellement, que si l’on n’y remédie par quelque loi semblable à celle de l’ancienne patrie de Thalestris, nous manquerons bientôt de bois de charpente pour nos usages domestiques. On ne voit que de jeunes héritiers prodigues, abattre les plus glorieux monumens des travaux de leurs pères, & ruiner dans un jour la production de plusieurs siècles. En un mot, nous ne travaillons que pour nous & nos plaisirs, sans être aucunement touchés de l’intérêt de nos enfans & de la postérité. Ce n’est pas cette façon de penser que la Fontaine prête à son octogénaire qui plantoit. On sait avec quelle sagesse il parle aux trois jouvenceaux surpris de ce qu’il se charge du soin d’un avenir qui n’étoit pas fait pour lui. Le vieillard, après les avoir bien écoutés, leur répond :

Mes arrières neveux me devront cet ombrage.
Hé bien, défendez-vous au Sage
De se donner des soins pour le plaisir d’autrui ?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd’hui,
J’en puis jouir demain, & quelques jours encore.

Que cette morale est sublime & touchante ! Pères de famille, elle s’adresse à vous ! Jeune homme, qui venez de fermer les yeux du respectable vieillard à qui vous devez le jour, hâtez-vous de suivre l’exemple

  1. Cyrus fit couvrir d’arbres fruitiers toute l’Asie mineure, & c’est de ses dépouilles que notre pauvre Europe s’est enrichie. C’étoit un dogme de la religion des Guèbres qu’une des actions les plus agréables à l’Être suprême, étoit de planter un arbre. Caton dit qu’il faut réfléchir long-temps avant de bâtir, mais qu’il ne faut pas différer d’un instant de faire des plantations.