Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 3.djvu/297

Cette page a été validée par deux contributeurs.

chaud, ni trop humide. On les y enterre avec leur motte, l’une près de l’autre, en prenant garde de ne point froisser, ni déchirer leurs feuilles, & après avoir enlevé celles qui se trouvent pourries, ou avec la disposition à pourrir. Ce seroit très-mal entendre ses intérêts, que de priver ce jardin d’hiver des bienfaits de l’air ; autrement, la moisissure & la pourriture gagneroient peu à peu les chicorées. Le seul point, & l’unique à observer, est d’empêcher le froid d’y pénétrer.

Ces précautions sont-elles d’une nécessité absolue ? Oui, en général : voici cependant ce qui m’est arrivé au mois de février 1782. Les eaux de la rivière d’Orbe, au commencement de décembre 1781, couvrirent tout mon jardin pendant près de trois jours. Les froids du mois de janvier furent très-modérés ; mais, dans le courant de février, le thermomètre se soutint entre quatre & cinq degrés au-dessous de zéro, pendant plusieurs jours ; & le vent du nord soufflant avec une impétuosité extrême, le froid étoit plus sensible ; cependant, malgré toutes ces circonstances défavorables, j’ai eu une planche d’endive frisée, de la grande espèce, qui a très-bien supporté les rigueurs de la saison, & elle s’est trouvée excellente, après avoir été enterrée. Il en a été ainsi des scarioles, des endives frisées de Meaux, de la régence, que j’avois laissées pour grainer, & elles ont très-bien réussi.

La chicorée amère se blanchit de plusieurs manières. On l’arrache de terre depuis octobre jusqu’à la fin de décembre ; on la transporte dans une cave chaude, on l’y enterre par rayons fort serrés, & on coupe toutes ses feuilles ; ou bien on arrache tous les plants à la fois. Ils sont rassemblés en petits tas, recouverts de fumier sec ; & à mesure qu’on veut les faire blanchir, on les plante dans une couche de fumier chaud, placé dans une cave. La troisième méthode consiste à avoir de grandes caisses, criblées de trous faits avec la tarière, à douze à quinze lignes l’un de l’autre. On commence à remplir le fond avec de la terre, & on fait passer la racine par un de ces trous, en suivant ainsi tout le tour de la caisse : cette couche de racines est couverte de terre, & ainsi de suite, couche par couche, jusqu’à ce que toute la caisse soit pleine. Alors on coupe toutes les feuilles du dehors de la caisse ; mais comme elle est placée dans un lieu chaud, où la lumière du jour ne pénètre pas, ou pénètre peu, la végétation se continue, les feuilles s’étiolent, (voy. le mot Étiolement) s’alongent, s’effilent, & restent toujours blanches ; ce qui a fait appeler cette salade, barbe du père éternel. On peut la recouper plusieurs fois dans un hiver : s’il y a trop de jour, les feuilles ne s’étioleront pas, & la racine poussera les feuilles comme en plein air.

De la récolte de la graine. Il est à présumer qu’on aura choisi & laissé les plus beaux pieds pour grainer : cette précaution est essentielle. Aux environs de Paris, les pieds destinés à donner la semence, sont plantés vers des abris, & recouverts de paille pendant les gelées. On en met encore quelques pieds dans des vases déposés dans la serre, suivant les circonstances, & remis en terre au renouvellement de la belle saison. D’une bonne graine, naît toujours