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CHAPITRE VI.

De la récolte des Châtaignes & des Marrons.


La récolte de ce fruit est abondante de deux années l’une, très-rarement deux années de suite, à moins que la saison n’ait été très-favorable. Plusieurs arbres sont dans le même cas, tels que l’olivier, le pommier à cidre, & peut-être un beaucoup plus grand nombre, si on les observoit attentivement ; & je pense que tout arbre qui donne des fruits seulement sur le bois de l’année précédente, est dans ce cas. Cette loi cependant n’est pas constante dans toutes les provinces, puisqu’on a observé plusieurs bonnes récoltes consécutives. Ce phénomène ne dépendroit-il pas de la manière d’être des saisons, & ne pourroit-on pas dire que toutes les fleurs ont aoûté, (voyez ce mot) & sont venues à bien ? Ne pourroit-on pas encore dire que la nature, prudente & sage, a multiplié les fleurs en raison de la masse des dangers qu’elles ont à craindre, ainsi que les fruits qui leur succèdent, comme elle a multiplié le nombre des insectes qui doivent servir de nourriture à un grand nombre d’animaux, la mouche par exemple ? En effet, si on considère la quantité de fruits qui tombent avant la maturité, on conviendra qu’il étoit nécessaire que le nombre de fleurs fut prodigieux. Ainsi, cette loi d’alternative, que plusieurs auteurs regardent comme absurde ou comme incertaine, ne l’est pas autant qu’ils le pensent, & l’expérience prouve que la quantité de fruits n’est jamais égale dans l’année qui suit celle d’abondance. L’arbre paroît épuisé, semble prendre du repos, & rassembler des forces nécessaires à l’abondance de l’année qui succède.

La récolte des châtaignes ou des marrons est fort casuelle : des pluies ou des rosées froides, dans le temps de la fleur, la font couler ; un soleil ardent, après une forte rosée, détruit & brûle la fleur. Un brouillard, ou les causes dont on vient de parler, produisent le même effet lorsque le fruit est noué, & le brouillard, sur-tout dans le mois d’août. Il n’en est pas ainsi de ceux du mois d’octobre : le proverbe dit qu’ils engraissent la châtaigne. Si le mois d’octobre est pluvieux, si celui de novembre l’est également pendant que la châtaigne sue amoncée dans son hérisson, le fruit pourrit, & celui qui reste intact se conserve peu.

Aussitôt que la châtaigne est tombée de l’arbre, il faut l’enlever de dessus la terre. Si cet enlèvement se fait à la rosée, & par un temps de brouillard, le fruit se conserve mieux. Les méthodes varient suivant les provinces. Dans les unes, on a des fosses où l’on jette le hérisson qui renferme la châtaigne ou le marron ; souvent ces fosses se remplissent d’eau : dans les autres, on amoncèle en plein air les hérissons, & ils restent dans cet état jusqu’à ce qu’ils s’ouvrent, & que le fruit s’en détache. L’une & l’autre me paroissent défectueuses : avantageuses, il est vrai, au vendeur, & préjudiciables à l’acheteur.

Ces monceaux fermentent, la chaleur s’y excite, elle pénètre dans