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bruyère ne sauroit végéter ? Enfin, il reste une seconde question à examiner : la bruyère ne vient-elle que dans des terrains ferrugineux ? cette seconde est presque décidée. J’ai transporté des bruyères dans un jardin dont le sol étoit très-bon, & aussi peu ferrugineux, qu’il est possible de l’être : mes arbrisseaux transplantés y ont éprouvé une végétation étonnante, & dans tous les points supérieure à leur végétation ordinaire sur les dépôts de mer. Laissons aux physiciens & aux naturalistes à examiner ces problêmes, pour nous occuper de rendre ce terrain à l’agriculture.

Il croît sous la bruyère une herbe fine & courte, qui sert de nourriture aux moutons ; mais comme elle n’est pas abondante, ils la coupent si près de terre, & y reviennent si souvent, que l’herbe s’appauvrit, & le sol ne sauroit bénéficier du débris de ses feuilles. (Voyez le mot Amendement) Cette herbe fournit par conséquent peu de terre végétale. Ainsi, quand on veut défricher une bruyère, il faut, deux ans auparavant, en interdire l’entrée aux troupeaux, afin de lui laisser le tems de pousser vigoureusement.

Il a deux manières de les défricher ; ou en brûlant les plantes sur pied avant de labourer, ou en les enterrant par le labour.

Le brûlis a l’avantage de détruire la tige, les graines, & même les racines ; & la plante, réduite en cendres, devient un engrais pour la terre. Il en résulte que la charrue sillonne plus aisément, & que le bétail en est moins fatigué ; mais l’action du feu a fait évaporer & perdre dans l’atmosphère les principes huileux contenus dans la plante, dont il ne reste plus qu’un sel alcali. (Voyez ce mot)

Par la seconde méthode, on conserve tous les principes de la plante, & ils sont rendus à la terre dans leur intégrité ; de manière qu’en pourrissant dans son sein, ils y accumulent la terre végétale, les principes huileux & salins.

Je ne conseille pas, avec les auteurs qui ont écrit sur ce sujet, de travailler cette terre en hiver ou au printems, mais de choisir la saison & le moment, chacun suivant son climat, où cette plante commence à fleurir, & ne pas attendre qu’elle ait grainé assez complétement pour que cette graine puisse germer. C’est le point préfixe ou elle contient le plus de principes ; elle est alors remplie de son eau de végétation ; & par conséquent, lorsqu’elle sera enterrée, elle pourrira plus facilement.

La première opération consiste à ouvrir un profond sillon avec la charrue sans oreille ou versoir, afin de détacher les racines. Aussitôt après ce premier labour, se servir de la charrue à versoir d’un seul côté, repasser dans le même sillon, en piquant plus profondément, & s’il le faut, avoir des enfans qui enterreront les plantes que le versoir n’aura pas couvertes. La terre restera dans cet état jusqu’au printems suivant, c’est-à-dire, à peu près pendant neuf mois, puisque la bruyère fleurit en Août & Septembre ; & dans ce laps de tems, les feuilles, les fleurs, toutes les bran-