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Amovr de soy-mesme.


LEs Anciens nous le dépeignent ſous la forme d’vn Narciſſe, qui ſe mire dans vne Fontaine ; pour monſtrer par là que celuy qui s’aime ſoy-mesme, ſe plaiſt ordinairement à ſe contempler, & à s’aplaudir en toutes ſes actions. Ce qui n’eſt pas moins ridicule que la Fable de Narciſſe, dont les anciens Poëtes ont eſté les premiers inuenteurs, pour apprendre à l’Homme, que de ſa propre vanité s’enſuit ordinairement ſa perte.

D’autres repreſentent cét Amour par vne Femme preſomptueuſe, ayant ſur la teſte vne guirlande de la plante que les Arboriſtes appellent communément Viſicaria ; En la main gauche vn eſcriteau, auec ce mot Grec φιλάuπα ; En la main droite la Fleur de Narciſſe, & en ſes pieds vn Paon.

Il n’eſt rien ſi difficile icy bas que de ſe connoiſtre ſoy-meſme, comme l’apprit autresfois aux Grecs le ſage Socrate, ou ſelon quelques-vns, Apollon meſme par ces grandes paroles qu’il luy fit prononcer, Γνοσεἱ σἑ ἀuτὁν, qui furent depuis grauées ſur la porte du Temple Delphique. Cette difficulté de ſe connoiſtre eſt cauſée par l’amour propre, dont chacun eſt aueuglé, pource que chacun auſſi ſe fait accroire d’eſtre plus habile que ſon Ethic. lib. 9. cap. 9. compagnon. Ariſtote dit à ce propos, qu’il y a des gens de deux ſortes qui s’aiment eux-meſmes, dont les premiers ſont à blaſmer pour eſtre vicieux, dautant qu’ils ne ſuiuent que leur propre paſſion & les autres à loüer, à cauſe que c’eſt la ſeule raiſon qui les guide.

Cét Amour a pour Embléme vne Femme, pource que la Femme auſſi eſt ordinairement amoureuſe de ſoy-meſme ; Si bien que pour laide & deſagreable qu’elle ſoit, elle s’imagine de ſurpaſſer toutes les autres, ſoit en beauté, ſoit en agréement ; Et ainſi ce n’eſt pas ſans ſujet qu’on luy fait porter vn eſcriteau auecque ce mot Philaphtie, ou Amour de ſoy-meſme.

On luy donne vne guirlande faite de la plante dite Veſicaria, Plin. I. cap. 31. Lib. 9 cap. 12 qui, ſelon Pline, croiſt en Égypte, ſemblable à peu prés au Lierre, & dont la racine, dit Theophraſte, a cette vertu ſecrette, que ſi apres l’auoir miſe en poudre, l’on en donne à boire vne dragme à quelqu’vn, il ſe perſuade auſſi-toſt, quelque laid qu’il ſoit, d’eſtre le plus beau de tous les hommes.