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BIBLIOGRAPHIE

prix. On ne le sait pas, puisque M. Mantzius ne nous le dit que par exception. J’avoue que les copieuses effigies des autres « farceurs » ne me consolent pas de cette lacune.

Il faut louer sans réserve M. Maurice Pellisson, connu par tant d’autres beaux travaux, d’avoir mis entre les mains du public français ce livre incomplet, mais pittoresque et vivant. La littérature française, même la grande, n’était plus précisément gâtée par les critiques étrangers. D’eux nous pourrons apprendre non seulement à mieux estimer notre propre bien, que notre paresse dédaigneuse nous rend souvent étranger, mais, alors même que nous connaissons et admirons nos grands hommes, à ne pas nous reposer dans une admiration aux formules immuables, trop banale pour durer en se renouvelant. Ce livre nous est bon doublement et parce que l’auteur admire Molière, et parce qu’il l’admire pour d’autres raisons que nous.


Molière et l’Espagne, par Guillaume Huszár, xi + 332 p. in-16, Paris, Champion.

Le livre de M. Huszár sur Molière et l’Espagne est une « étude critique de littérature comparée », C’est-à-dire que M. H. ne s’attache pas à Molière pris en lui-même, pour le plaisir que peut donner la représentation ou la lecture de ses comédies ; il ne se contente pas non plus de le situer à son rang dans la littérature française du xviie siècle ou dans l’histoire du théâtre en France : il veut définir la place de Molière dans la littérature européenne, dans l’ensemble de ces littératures nationales qu’unissent, par-dessus les frontières, les liens d’une solidarité complexe. De tels travaux, pour toutes les époques et tous les genres, apparaissent de plus en plus nombreux, parce qu’on les sent de plus en plus nécessaires. Pas plus que l’histoire politique ou l’histoire économique, l’histoire littéraire ne peut se cantonner dans l’intérieur d’un seul pays ; pour établir la vérité, où du moins s’en approcher le plus possible, elle doit rechercher Îles rapports de cause à effet qui vont d’un peuple à l’autre, et non pus seulement d’une génération à l’autre dans le même peuple. Il ne s’agit plus, aujourd’hui, de mentionner rapidement et vaguement, en avant-propos et comme pour déblayer le terrain, que telle pièce ou « la rappelle » « s’inspire » de telle œuvre exotique ; il s’agit de construire l’histoire générale des littératures, de les faire marcher de front, comme elles étaient dans la réalité, jointes les unes aux autres par des actions et des réactions multiples. C’est une besogne difficile, où ne suffisent pas les qualités brillantes qui assuraient autrefois la fortune d’un critique : il y faut la connaissance des diverses langues, la résignation aux recherches longues à travers les bibliothèques, l’art de faire tenir dans les cadres d’une exposition claire une matière d’autant plus malaisée à mettre en œuvre qu’elle est plus abondante ;