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tionnement s’est isolé de plus en plus du milieu cosmique général. Les machines que l’intelligence de l’homme crée, quoique infiniment plus grossières, possèdent aussi une indépendance qui n’est que l’expression du jeu de leur mécanisme intérieur. Une machine à vapeur possède une activité indépendante des conditions physico-chimiques du milieu extérieur, puisque, par le froid, le chaud, le sec et l’humide, la machine continue à marcher ; mais pour le physicien qui descend dans le milieu intérieur de la machine, il trouve que cette indépendance n’est qu’apparente, et que le mouvement de chaque rouage intérieur est déterminé par des conditions physiques absolues et dont il connaît la loi. De même pour le physiologiste, s’il peut descendre dans le milieu intérieur de la machine vivante, il y trouvera un déterminisme qui doit devenir pour lui la base réelle de la science expérimentale des corps vivans.

Pour comprendre l’expérimentation sur les êtres vivans, et surtout chez les êtres vivans d’une organisation élevée, il faut nécessairement tenir compte de deux milieux : le milieu cosmique ou extra-organique, qui est commun aux êtres vivans et aux corps bruts, et le milieu intra-organique, qui est spécial aux êtres vivans. Ce dernier milieu, qui est en rapport avec nos élémens organiques actifs (muscles, nerfs, glandes, etc.), est formé par tous les liquides circulans (la liqueur du sang et tous les liquides intra-organiques et blastématiques). Nous trouvons dans ce milieu liquide les conditions de température, l’air et les alimens dissous dans l’eau, car, ainsi que nous l’avons dit ailleurs[1], tous les élémens organiques actifs qui composent notre organisme sont nécessairement aquatiques, et ce n’est que par un artifice de construction que notre corps peut exister et se mouvoir dans l’air sec.

La médecine expérimentale ou scientifique sera surtout fondée sur la connaissance des propriétés du milieu intra-organique. Quand un médicament exerce sur nous son action, ce n’est point dans notre estomac qu’il agit, mais seulement dans notre milieu intra-organique, après avoir pénétré dans notre sang et s’être mis en contact avec nos particules organisées. Cette idée du milieu intérieur, dirigeant mes études en physiologie, m’a servi à déterminer d’une manière plus précise l’action des substances toxiques sur les divers élémens de notre corps[2] ; mais en outre il en résulte des considérations nouvelles, qui sont destinées à guider le physiologiste dans ses expérimentations et à servir de base à la fois à la physiologie et à la pathologie générales. En effet, au point de

  1. Revue du 1er  mars 1865.
  2. Voyez la Revue du 1er  septembre 1864, Études physiologiques sur le curare.