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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

son influence en Corée ; elle pensa traiter les Japonais comme elle avait traité les Chinois… Le conflit survenant, le Jaune a vaincu le Blanc. L’empire russe sort bafoué de l’aventure, ayant désormais perdu toute autorité en Occident comme en Orient. Et tout cela ne serait rien, si les défaites lointaines n’avaient permis aux « humiliés et offensés » de son propre domaine de relever la tête, et aux peuples opprimés de se reprendre à l’espoir.

Que de contrastes ethniques existent encore dans l’immense territoire dévolu au tsar par la « grâce de Dieu », c’est-à-dire par l’héritage et la conquête ! Les 147 millions d’hommes énumérés par la statistique[1] sont encore loin de constituer une nation homogène et de se sentir unis par un patriotisme commun. La force venant à disparaître soudain, une très grande variété de nations se montrent aussitôt. Les seules qui ne peuvent songer à se séparer sont précisément celles qui sont les plus distinctes de la souche slave par leur origine, les aborigènes épars que l’on désigne d’une manière générale sous le nom d’ « allophyles » et auxquels une longue oppression, une conscience héréditaire d’infériorité politique ont fini par enlever tout génie propre, toute individualité. Nombre de ces groupes ethniques jadis indépendants ont tout perdu : ils s’unissent à la masse russe comme une simple matière humaine sans ajouter une nouvelle idée à l’indépendance collective. Tels les Ziranes de la Kama et de la Dvina, qui n’ont point conservé leurs traditions et vivent depuis longtemps en serfs humbles et rampants, sans aucune volonté d’existence politique autonome ; ils méprisent même leur propre langue et n’ont d’autre ambition que d’être admis parmi les maîtres, fût-ce comme serviteurs[2]. Au fond, ils ne diffèrent pas beaucoup des paysans russes, leur mode de penser et leurs superstitions se ressemblent ; dès que la langue est devenue commune, Tartares et Kalmouk, Ostiak et Vogules, Tcheremisses et Mordvines se sont transformés en Russes, mais on a constaté que le type mongol se conserve beaucoup mieux chez les femmes que chez les hommes dans la Russie orientale. C’est d’ailleurs un fait constant que l’on remarque en Finlande aussi bien que chez les Allemands des Sette Comuni des Alpes et dans l’île de Capri : le type originaire se maintient surtout chez la femme, conservatrice de la race.

  1. Voir Diagrammes pages 484 et 485.
  2. Chakov, Division ethnographique de la Russie, Soc. de géographie de St-Pétersbourg, 11-24 octobre 1900.