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chapitre xiii.

reueil, s’esbat & reueoit sa patrie, qui est le ciel. De là reçeoit participation insigne de sa prime & diuine origine, & en contemplation de ceste infinie & intellectuale sphære[1], le centre de laquelle est en chascun lieu de l’vniuers, la circunference poinct (c’est Dieu scelon la doctrine de Hermes[2] trismegistus) à laquelle rien ne aduient, rien ne passe, rien ne dechet, tous temps sont præsens : note non seulement les choses passées en mouuement inferieurs, mais aussi les futures : & les raportent à son corps, & par les sens & organes d’icelluy les exposant aux amis, est dicte vaticinatrice & prophete. Vray est qu’elle ne les raporte en telle syncerité, comme les auoit veues, obstant l’imperfection & fragilité de sens corporelz : comme la Lune receuant du Soleil sa lumiere, ne nous la communicque telle, tant lucide, tant pure, tant viue & ardente comme l’auoit receue. Pourtant reste à ces vaticinations somniales interprete, qui soit dextre, saige, industrieux, expert, rational, & absolu Onirocrite, & Oniropole : ainsi sont appelez des Græcs. C’est pourquoy Heraclitus disoit[3] rien par songe ne nous estre exposé, rien aussi ne nous estre celé : seulement nous estre donnée signification & indice des choses aduenir ou pour l’heur & malheur nostre, ou pour l’heur & malheur d’aultruy. Les sacres letres le tesmoignent, les histoires prophanes l’asceurent : nous exposant mille cas aduenuz scelon les songes tant de la persone songeante, que d’aultruy pareillement. Les Atlanticques & ceulx qui habitent en l’isle de Thasos l’une des Cyclades, sont priuez de ceste commodité, on pays desquelz iamais persone ne songea. Aussi feurent Cleon de Daulie, Thrasymedes, & de nostre temps le docte Villanouanus François, lesquelz oncques ne songerent. Demain doncques sus l’heure que la

  1. On retrouve la même définition à la fin du cinquiesme livre (t. III, p. 178) : « Ceste sphere intellectuale, de laquelle en tous lieux est le centre, & n’a en lieu aucun circonferance, que nous appelions dieu. » C’est peut-être de ce dernier endroit que Pascal a tiré jusqu’à la forme de cette fameuse pensée qui lui a fait tant d’honneur : « C’est une sphere infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. » (Pensées, collection Lemerre, t. I, p. 26, et Notes, t. ii, p. 226-227.) Il y a un indice qui permet de croire qu’au moment où l’illustre philosophe recueillait les matériaux de l’ouvrage qu’il n’a pu faire, il venait de lire le cinquiesme livre. En effet, dans le titre du chapitre xxv (t. iii, p. 99), il est question de « l’Isle d’Odes, en laquelle les chemins cheminent. » et dans le recueil de Pascal on trouve cette pensée bizarre, étrangère a l’objet de ses études, et qui semble n’être que la transcription, sous une forme plus générale, du passage que nous venons de citer : « Les rivières sont des chemins qui marchent & qui portent où l’on veut aller. » (Pensées, collect. Lemerre, t. ii, p. 152)
  2. Voyez Mercurius Trismegistus, Pimander, c. 2.
  3. Rabelais tire cela du traité de Plutarque : Pourquoi la Pythienne ne rendait plus d’oracles en vers (xxi) : Τὸ ὃναρ οὗ τὸ μαντεῖόν ὲστι τὸ ὲν Δελφοῖς οὔτε λέγει, οὔτε ϰρύπτει, ὰλλὰ σημαίνει. Ce texte n’est pas du reste le plus généralement suivi.