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chapitre liiii

treſſalubre tant es malades, comme es ſains. Non aultrement, reſpondit Homenaz. Nous ſommes ſimples gens, puys qu’il plaiſt à Dieu. Et appellons les figues, figues[1] : les prunes, prunes : & les poires, poires. Vrayement, diſt Pantagruel, quand ie ſeray en mon meſnaige (ce ſera, ſi Dieu plaiſt, bien touſt) i’en aſſieray & hanteray en mon iardin de Touraine ſus la riue de Loyre, & ſeront dictes poires de bon Chriſtian. Car oncques ne veiz Chriſtians meilleurs que ſont ces bons Papimanes. Ie trouueroys (diſt frere Ian) auſſi bon qu’il nous donnaſt deux ou troys chartees de ſes filles. Pourquoy faire ? demandoit Homenaz. Pour les ſaigner, reſpondit frere Ian, droict entre les deux gros horteilz auecques certains piſtolandiers de bonne touche. En ce faiſant ſus elle nous hanterions des enfans de bon Chriſtian, & la race en nos pays multiplieroit : es quelz ne ſont mie trop bons. Vraybis (reſpondit Homenaz) non ferons, car vous leurs feriez la follie aux guarſons : ie vous congnoys à voſtre nez[2], & ſi ne vous auoys oncques veu. Halas, halas, que vous eſtes bon filz. Vouldriez vous bien damner voſtre ame ? Nos Decretales le defendent. Ie vouldroys que les ſceuſſiez bien. Patience, diſt frere Ian. Mais, ſi tu non vis dare, præſta queſumus[3]. C’eſt matiere de breuiaire. Ie n’en crains home portant barbe, feut il docteur de Chryſtallin (ie diz Decretalin) à triple bourlet.

Le dipner paracheué, nous prinſmes congié de Homenaz, & de tout le bon populaire, humblement les remercyans, & pour retribution de tant de biens, leurs promettans que venuz à Rome ferions auecques le Pere ſainct tant qu’en diligence il les iroyt veoir en perſone. Puys retournaſmes en noſtre nauf. Pantagruel par liberalité & recongnoiſſance du ſacre

  1. Appellons les figues figues. παρρησίας ϰαὶ ὰληθείας φίλος, ὡς ὁ Κομιϰος φηοι, τα σῦϰα σῦϰα… ονομάσων (Lucien, Comment on doit écrire l’histoire, 41)

    J’appelle un chat un chat…

  2. Ie vous congnoys à voſtre nez. Voyez ci-dessus, p. 140, note sur la l. 2 de la p. 151.*
    * Ad formam naſi cognoſcitur ad te leuaui. « A la forme du nez on connaît. J’ai élevé vers toi » Ad te leuaui… Ces mots reviennent souvent dans les psaumes : Ad te levavi oculos meos, ps. CXXII, 1 ; Ad te levavi animam meam, ps. CXLII, 8, etc.

    On n’en finirait point si l’on voulait recueillir les nombreux témoignages relatifs à la croyance populaire à laquelle il est fait allusion ici. En voici un tiré de la Farce de Maiſtre Mimin (Ancien théâtre françois, t. II, p. 339) :

    I’ay ouy dire à maiſtre Mengin
    Qu’il auoit le plus bel engin
    Que iamais enfant peult porter ;
    Il ne s’en fault que rapporter
    A ſon nez, voyla qui l’enſeigne.

  3. Si… queſumus. « Si tu ne veux donner, prête, nous t’en prions. »