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le tiers livre

iurer vne petite demie heure pour moy[1]. Ie iureray pour toy quand tu vouldras. Mais qui me fera coqu ? trovil. Quelqu’vn. panvr. Par le ventre beuf de boys, ie vous froteray bien monſieur le quelqu’vn. trov. Vous le dictez. pan. Le diantre, celluy qui n’a poinct de blanc en l’œil m’emporte doncques : enſemble ſi ie ne boucle ma femme[2] à la Bergamasque, quand ie partiray hors mon ſerrail. tr. Diſcourez mieulx. pa. C’eſt bien chien chié chanté[3] pour les diſcours. Faiſons quelque reſolution. tr. Ie n’y contrediz. pa. Attendez. Puis que de ceſtuy endroict ne peuz ſang de vous tirer, ie vous ſaigneray d’aultre vene. Eſtez vous marié ou non ? tr. Ne l’vn ne l’aultre, & tous les deux enſemble. pa. Dieu nous ſoit en ayde. Ie ſue par la mort beuf d’ahan : & ſens ma digeſtion interrompue. Toutes mes phrenes, metaphrenes, & diaphragmes ſont ſuſpenduz & tenduz pour incorniſiſtibuler en la gibbeſſiere de mon entendement[4] ce que dictez & reſpondez. tr. Ie ne m’en empeſche. pa. Trut auant. Noſtre feal, eſtez vous marié ? tr. Il me l’eſt aduis. pa. Vous l’auiez eſté vne aultre foys ? tr. Poſſible eſt. pa. Vous en trouuaſtez vous bien la premiere fois ? tr. Il n’eſt pas impoſſible. pa. A ceſte ſeconde fois comment vous en trouuez vous ? tr. Comme porte mon ſort fatal. panvr. Mais quoy, à bon eſſiant, vous en trouuez vous bien ? trovil. Il eſt vray ſemblable. panv. Or ça, de par Dieu. I’aymeroys, par le fardeau de ſainct Chriſtofle, autant entreprendre tirer vn pet d’vn Aſne mort, que de vous vne reſolution. Si vous auray ie à ce coup. Noſtre feal, faiſons honte au diable d’enfer, confeſſons verité. Feuſtez vous iamais coqu ? Ie diz vous qui eſtez icy : ie ne diz pas vous qui eſtez là bas au ieu de paulme. trovil.

  1. Va… iurer vne petite demie heure pour moy. Henri Estienne, dans son Apologie pour Hérodote (c. XIV, t. I, p. 168), raconte l’histoire suivante d’un joueur : « Ce vilain eſtant laſſé de maugréer, renier, deſpiter Dieu & le blaſphemer en toutes ſortes, commanda à ſon valet de luy aider. » D’ordinaire, dans nos comiques, quand on prie quelqu’un de jurer pour soi, cela s’applique plutôt au serment à taire devant un tribunal qu’à des jurons : « Ie prieray mon voiſin deiurer pour moy, ainſi que fit le ſire Guillaume, qui, preſſé du iuge de iurer, luy dit ainſi : « Monſieur, ie ne fais point iurer, parce que ie n’ay pas étudié, ny eſté à la guerre, & ne ſuis docteur, ny gendarme, ny gentilhomme ; mais i’ay vn frere qui iurera pour moy. » (Moyen de parvenir, p. 2)

    Un grand homme ſec, là qui me ſert de témoin,
    Et qui jure pour moy lors que j’en ay beſoin.

  2. Si ie ne boucle ma femme. Allusion aux ceintures de chasteté ou cadenas. Voyez dans les Poésies diverses de Voltaire la pièce qui porte ce titre. Un de ces instruments est exposé au musée de Cluny.
  3. Chien chié chanté. Voyez ci-dessus, p. 78, la note sur la l. 26 de la p. 22.*
    * C’eſt bien chié, chanté. On trouve : « C’est bien chié ! » comme une sorte d’exclamation, dans la Farce de Jolyet (Anc. Th., franç, t. I, p. 56). Ici le buveur dit chié au lieu de chanté, puis se reprend. Ce quolibet se retrouve dans des Couplets de Beaumarchais pour la fête de M. Lenormant d’Étioles :

    Vlà-t-i pas qu’eſt bien chié ! (chanté).

  4. La gibbeſſiere de mon entendement. Voyez ci-dessus, p. 99, la note sur la l. 13 de la p. 54.*
    * En la gibbeſiere de ma memoire. Ces périphrases ampoulées étaient fréquentes chez certains prédécesseurs de Rabelais. Jean de Garlande dit, dans la préface de son Dictionnaire composé au XIIIe siècle, que cet ouvrage est un recueil des mots que l’écolier doit garder dans « l’armoire du cœur (in cordis armariolo). » Roger de Collerye dit aussi : « L’armoire de mon eſprit. » (Œuvres, 1855, p. 48. Biblioth. elzévir. et Villon, dans le Petit testament (p. 18) :

    Lors ie ſenty dame Memoire
    Reſcondre & mectre en ſon aulmoire
    Ses eſpeces collaterales.

    Bouchet s’est rappelé la plaisante expression de Rabelais : « Ce ieune Medecin mettant cela en la gibbeſiere de ſa memoire… » (Dixieſme ſeree. Éd. Lemerre, t. II, p. 213)