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CINQUIÈME ENNÉADE.


Temps offre la mobile image dans la sphère de l’âme. En effet, l’âme a une action successive, divisée par les objets divers qui attirent son attention : elle se représente tantôt Socrate, tantôt un cheval ; elle ne saisit jamais qu’une partie de la réalité, tandis que l’Intelligence embrasse toujours toutes choses simultanément. L’Intelligence possède donc toutes choses immobiles dans l’identité. Elle est : il n’y a jamais pour elle que le présent[1] ; point de futur : car elle est déjà ce qu’elle peut être plus tard ; point de passé ; car nulle des choses intelligibles ne passe ; toutes subsistent dans un éternel présent, toutes restent identiques, satisfaites de leur état actuel. Chacune est intelligence et être ; toutes ensemble, elles sont l’Intelligence universelle, l’Être universel.

L’Intelligence existe [comme Intelligence] parce qu’elle pense l’Être. L’Être existe [comme Être] parce que, étant pensé, il fait exister et penser l’Intelligence[2]. Il y a donc une autre chose qui fait penser l’Intelligence et exister l’Être, et qui est par conséquent principe commun de tous deux : car ils sont contemporains dans l’existence, ils sont consubstantiels et ne peuvent se manquer l’un à l’autre. Comme l’Intelligence et l’Être constituent une dualité,

    p. 260, et note. Les termes dont se sert Plotin rappellent ceux d’Aristote : « La pensée en soi est la pensée de ce qui est en soi le meilleur, et la pensée par excellence est la pensée de ce qui est le bien par excellence. L’intelligence se pense elle-même en saisissant l’intelligible : car elle devient intelligible elle-même à ce contact, à ce penser. Il y a donc identité entre l’intelligence et l’intelligible : car la faculté de percevoir l’intelligible et l’essence, voilà l’intelligence ; et l’actualité de l’intelligence, c’est la possession de l’intelligible. Ce caractère divin, ce semble, de l’intelligence, se trouve donc au plus haut degré dans l’intelligence divine ; et la contemplation est la jouissance suprême et le souverain bonheur. » (Métaphysique, XII, 7.)

  1. Voy. Enn. III, liv. VII, § 2-4 ; t. II, p. 174-181.
  2. Voy. ci après Enn. V, liv. IX, § 2, 7.