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LIVRE PREMIER.


IV. Veut-on arriver par une autre voie à reconnaître la dignité de l’Intelligence ? Après avoir admiré le monde sensible en considérant sa grandeur et sa beauté, la régularité éternelle de son mouvement, les dieux visibles ou cachés, les animaux et les plantes qu’il renferme, qu’on s’élève à l’archétype de ce monde, à un monde plus vrai ; qu’on y contemple tous les intelligibles qui sont éternels comme lui et qui y subsistent au sein de la science et de la vie parfaite. Là préside l’Intelligence pure, la Sagesse ineffable[1] ; là se trouve le vrai royaume de Saturne[2], qui n’est autre chose que l’Intelligence pure. Celle-ci embrasse en effet toute essence immortelle, toute intelligence, toute divinité, toute âme ; et tout y est éternel et immuable. Pourquoi l’Intelligence changerait-elle, puisque son état est heureux ? À quoi aspirerait-elle, puisqu’elle a tout en elle-même ? Pourquoi voudrait-elle se développer, puisqu’elle est souverainement parfaite ? Sa perfection est d’autant plus complète qu’elle ne renferme que des choses qui sont parfaites et qu’elle les pense ; et elle les pense, non parce qu’elle cherche à les connaître, mais parce qu’elle les possède[3]. Sa félicité n’a rien de contingent : l’Intelligence possède tout dès l’éternité ; elle est elle-même l’Éternité véritable, dont le

  1. Ce beau passage est cité par Eusèbe, Préparation évangélique, XI, 17.
  2. Voy. le passage du Cratyle de Platon que nous citons ci-après, p. 17, note 2. Proclus fait allusion à cette phrase de Plotin dans son Commentaire sur le Timée (p. 93) : « Il y a aussi le Père et le Créateur, que Plotin sépare de la matière et place dans le monde intelligible, appelant intelligible tout ce qui est entre l’Un et le monde sensible. C’est là en effet que se trouve, selon Plotin, le véritable ciel, le royaume de Saturne et l’Intelligence de Jupiter. C’est comme si l’on disait que la sphère de Saturne, celle de Jupiter et celle de Mars sont dans le ciel : car l’intelligible pris dans sa totalité est unité-pluralité, et l’unité de l’intelligence contient une pluralité d’intelligibles. Telle est la théorie de Plotin. » Voy. Macrobe, Comm. sur le Songe de Scipion, I, 11.
  3. Voy. Enn. I, liv. VIII, § 2, t. I, p. 118-119 ; Enn. II, liv. IX, § 1, t. I,