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LIVRE TROISIÈME.


est un être réel, qu’elle a une nature et des opérations qui lui sont propres[1]. S’il en est ainsi, elle doit avoir des désirs et se les rappeler, se souvenir qu’ils ont été ou non satisfaits, parce que, par sa nature, elle ne fait pas partie des choses qui sont dans un écoulement perpétuel[2] ; sinon, nous ne saurions lui accorder le sens intime (συναίσθησις), ni la conscience (παραϰολούθησις), ni la réflexion (σύνθεσις), ni l’intuition d’elle-même (σύνεσις)[3]. Si elle ne les possédait pas par sa nature, elle ne les acquerrait pas par son union avec le corps. Sans doute il est des opérations (ἐνεργείαι) que l’âme ne peut accomplir sans le concours des organes ; mais elle possède par elle-même les facultés (δυνάμεις) dont dépendent ces opérations ; elle possède en outre par elle-même d’autres facultés dont les opérations ne relèvent que d’elle seule[4]. De ce nombre est la mémoire, dont le corps ne fait qu’entraver l’exercice : en effet, quand l’âme s’unit au corps, elle oublie ; quand elle se sépare du corps et se purifie, elle recouvre souvent la mémoire. Puisque l’âme possède la mémoire quand elle est seule, nécessairement le corps, avec sa nature mobile et sujette à un écoulement perpétuel, est une cause d’oubli, non de mémoire : il est donc pour l’âme le fleuve du Léthé (λήθη, oubli). C’est donc à l’âme seule qu’appartient la mémoire[5].

  1. Voy. Enn. I, liv. I, § 2 ; t. I, p. 37.
  2. On sait qu’Héraclite enseignait que les objets sensibles sont dans un écoulement perpétuel.
  3. Les quatre termes dont Plotin se sert ici sont des équivalents. Il emploie souvent συναίσθησις et σύνεσις comme synonymes (Enn. III, liv. VIII, § 3 ; Enn. V, liv. VIII, § 11, etc.). Le sens du mot παραϰολούθησις, que nous avons vu dans l’Ennéade I (liv. IV, § 10), a été expliqué ci-dessus (Enn. III, liv. IX, § 3, fin). Quant au mot σύνθεσις, il paraît être l’équivalent de l’expression στᾶσα ἐν ᾧ ἐστιν qu’on trouve dans cette phrase : στᾶσα σὲ [ψυχὴ] ἐν ᾧ ἐστιν, ἐν τῖη αὑτῆς στάσει ϰαὶ οἷον συναισθήσει, τῇ συνέσει ταυτῇ ϰαὶ συναισθήσει τὸ μεθ’ αὑτήν εἶδεν (Enn. III, liv. VIII, § 3). Sur la conscience, Voy. t. I, p 353.
  4. Voy. t. I, p. 43-47, 362.
  5. Macrobe, dans son Commentaire sur le Songe de Scipion (I, 12), exprime des idées