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QUATRIÈME ENNÉADE.


concourent à l’acte de la sensation, la sensation est commune à l’âme et au corps[1], comme les actes de percer, de tisser[2]. Ainsi, dans la sensation, l’âme joue le rôle d’artisan et le corps celui d’instrument[3] : le corps éprouve la passion (πάσχει) et sert de messager à l’âme ; l’âme perçoit l’impression (τύπωσις) produite dans le corps ou par le corps[4] ; ou bien encore elle porte un jugement (ϰρίσις) sur la passion qu’il a éprouvée[5]. Il en résulte que la sensation est une opération commune à l’âme et au corps.

Il n’en saurait être de même de la mémoire, par laquelle l’âme, ayant déjà par la sensation perçu l’impression produite dans le corps, la conserve ou la laisse échapper[6]. On prétendra peut-être que la mémoire aussi est commune à l’âme et au corps, parce que sa bonté dépend de notre complexion. Nous répondrons que le corps peut entraver ou

  1. Voy. Enn. I, liv. I, § 7, 9 ; t. I, p. 43, 46. Plotin reproduit ici la doctrine de Platon : « Pose pour certain que parmi les affections que notre corps éprouve ordinairement, les unes s’éteignent dans le corps même avant de passer jusqu’à l’âme et la laissent sans aucun sentiment ; les autres passent du corps à l’âme, et produisent une espèce d’ébranlement qui a quelque chose de particulier pour l’un et pour l’autre, et de commun aux deux… Lorsque l’affection est commune à l’âme et au corps, et qu’ils sont ébranlés l’un et l’autre, tu ne le tromperas pas en donnant à ce mouvement le nom de sensation. » (Philèbe, t. II, p. 357 de la trad. de M. Cousin.)
  2. Voy. t. I, p. 40, note 3.
  3. Voy. ci-dessus, p. 309.
  4. Voy. ci-dessus, p. 123-124.
  5. Le jugement que l’âme porte sur la sensation est l’opinion : « N’est-il pas vrai que c’est de la sensation et de la mémoire que nous viennent ordinairement l’opinion et la résolution de nous en faire une ? » (Platon, Philèbe, t. II, p. 376 de la trad. de M. Cousin.) Voy. les Notes et Éclaircissements du tome I, p. 337.
  6. Voy. ci-après le livre VI, § 2. Voy. aussi les fragments de Porphyre traduits dans le tome I (p. LXVII, § XXV et note 4). S. Augustin s’exprime sur ce sujet dans les mêmes termes : « Non enim, si per sensus percipimus aliquid quod memoriæ commendamus, ideo iri corpore memoria esse putanda est, etc. » (De Musica, I, 4.)