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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

comparaison est bonne pour exprimer que l’âme a la faculté de se séparer du corps ; mais elle n’indique pas encore convenablement la manière dont l’âme est présente au corps. Si l’âme est dans le corps comme le passager est dans le navire, elle n’y sera que par accident : si elle y est comme le pilote est dans le navire qu’il gouverne, la comparaison ne sera pas encore satisfaisante : car le pilote n’est pas dans tout le navire comme l’âme est tout entière dans tout le corps[1]... Si, assimilant l’âme à un pilote qui serait incarné dans son gouvernail, nous la plaçons dans le corps comme dans un instrument naturel (ὡς ἐν ὀργάνῷ φυσιϰῷ)[2], de telle sorte qu’elle le meuve à son gré, aurons-nous trouvé la solution que nous cherchons ? ou bien demanderons-nous encore comment l’âme sera dans son instrument ? Quoique ce mode de présence diffère des précédents, nous voulons en trouver un qui approche encore plus de la réalité. Ce mode, le voici : L’âme est présente au corps[3] comme la lumière est présente à l’air (ὡς τὸ φῶς πάριστι τῶ ἀέρι)[4]. La lumière en effet est présente à l’air sans y être présente, c’est-à-dire, elle est présente à l’air entier sans s’y mêler, et elle demeure en elle-même tandis que l’air s’écoule. Quand l’air dans lequel rayonne la


    mentateurs d’Aristote ont conclu, comme le fait ici Plotin, que l’âme est séparable du corps ; d’autres, au contraire, comme Alexandre d’Aphrodisiade, qu’elle en est inséparable. M. Barthélemy St-Hilaire blâme avec raison (p. vii de son Introduction) cette obscurité et cette indécision d’Aristote, dont les opinions ont ainsi fourni matière aux interprétations les plus contraires.

  1. Descartes dit de même dans le Discours de la méthode (p. 189, éd. de M. Cousin) : « Il ne suffit pas que l’âme soit logée dans le corps humain ainsi qu’un pilote en son navire, sinon pour mouvoir ses membres, mais il est besoin qu’elle soit jointe et unie plus étroitement avec lui. » Bossuet a développé cette pensée dans son traité De la Connaissance de Dieu et de soi-même, chap. iii, § 20 : « Il y a une extrême différence entre les instruments ordinaires et le corps humain. Qu’on brise le pinceau d’un peintre ou le ciseau d’un sculpteur, il ne sent point les coups dont ils sont frappés ; mais l’âme sent tous ceux qui blessent le corps, et, au contraire, elle a du plaisir quand on lui donne ce qu’il faut pour l’entretenir. Le corps n’est donc pas un simple instrument appliqué par le dehors, ni un vaisseau que l’âme gouverne à la manière d’un pilote. Il en serait ainsi si elle n’était simplement qu’intellectuelle ; mais parce qu’elle est sensitive, elle est forcée de s’intéresser plus particulièrement à ce qui la touche, et de le gouverner, non comme une chose étrangère, mais comme une chose naturelle et intimement unie. »
  2. Voy. Enn. I, liv. i, § 3, p. 38. Cette idée est encore empruntée à la doctrine d’Aristote, selon laquelle le corps est l’instrument naturel de l’âme. Voy. De l’Âme, II, 1, 4 ; p. 166-168, 191 de la trad.
  3. Voy. liv. i, § 7, p.43.
  4. Voy. livre i, § 4, 12, p. 40, 49.