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DEUXIÈME ENNÉADE.

autant que possible, nous habitions ces corps de la même manière que l’Âme universelle habite le corps de l’univers. Pour cela, il faut être ferme, ne pas se laisser charmer par les plaisirs de l’ouïe ni par ceux de la vue, n’être troublé par aucun revers[1]. L’Âme du monde n’est troublée par rien, parce qu’elle est en dehors de toute atteinte. Mais nous, qui sommes ici-bas exposés aux coups de la fortune, repoussons-les par notre vertu, affaiblissons les uns, rendons les autres impuissants par notre constance et par notre grandeur d’âme[2]. Quand nous nous serons ainsi rapprochés de cette puissance qui est en dehors de toute atteinte, de l’Âme de l’univers et des âmes des astres, nous tâcherons d’en être l’image et de pousser même cette ressemblance jusqu’à l’identité. Alors, bien disposés par la nature et par l’exercice, nous contemplerons ce que ces âmes contemplent dès le commencement. S’il est des hommes qui se vantent d’avoir le privilége de contempler seuls le monde intelligible[3], il ne s’ensuit pas qu’ils contemplent réellement ce monde plus que les autres hommes.

C’est tout aussi vainement qu’ils se glorifient de devoir quitter leurs corps quand ils auront cessé de vivre, tandis que les dieux ne le peuvent pas parce qu’ils remplissent toujours la même fonction dans le ciel. Ils ne parlent ainsi que parce qu’ils ignorent ce que c’est qu’être hors du corps, et de quelle manière l’Âme universelle gouverne tout entière ce qui est inanimé[4].

Oui, nous pouvons ne pas aimer le corps[5], devenir purs, mépriser la mort, connaître et rechercher les choses supé-

  1. Voy. Porphyre, De l’Abstinence des viandes, liv. i, § 50-57.
  2. Voy. Enn. I, liv. iv, § 8, 14, p. 83, 88.
  3. C’est une allusion à la Gnose. Voy. plus haut, p. 285, note 2.
  4. Voy. Enn. III, liv. iv, § 2. La fin de la phrase de Plotin rappelle ce passage de Platon : « L’âme en général prend soin de la nature inanimée. » (Phèdre, t. VI, p. 48 de la trad. de M. Cousin.) Plotin a déjà cité ces mots p. 177.
  5. Voy. Platon, Phédon, p. 68, t. I, p. 240, de la trad. de M. Cousin.