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LIVRE NEUVIÈME.

y a deux espèces de vie : celle des gens vertueux, qui s’élèvent au degré suprême [de la perfection] et au monde intelligible ; et celle des hommes vulgaires et terrestres, qui elle-même est double : car tantôt ils songent à la vertu et participent quelque peu au bien, tantôt ils ne forment qu’une foule vile, et ne sont que des machines, destinées à satisfaire les premiers besoins des gens vertueux[1]. Si un homme commet un homicide, s’il a la faiblesse de s’abandonner aux voluptés, ne nous étonnons pas de voir tomber ainsi en faute, non des intelligences, mais des âmes qui se conduisent comme des jeunes gens inexpérimentés. Cette vie, dit-on, est une lutte[2] où l’on est vainqueur ou vaincu. N’est-elle pas par cela même bien ordonnée ? On te fait tort ? Que t’importe puisque tu es immortel. On te met à mort ? Tu as le sort que tu désires. Crois-tu avoir lieu de te plaindre de cette cité ? Rien ne t’oblige à y rester[3]. Il y a d’ailleurs évidemment ici-bas des peines et des récompenses. Quel motif donc a-t-on de se plaindre d’une cité où s’exerce ainsi la justice distributive, où la vertu est honorée, où le vice reçoit le châtiment qu’il mérite[4] ?

Non-seulement il y a ici-bas des statues des dieux[5], mais les dieux eux-mêmes abaissent leurs regards sur nous ; ils n’encourent de notre part aucun reproche mérité, comme on le reconnaît ; ils conduisent tout avec ordre du commencement à la fin ; ils donnent à chacun le sort qui lui convient et qui est en harmonie avec ses antécédents dans ses existences successives (ϰατὰ ἀμοιϐὰς βίων)[6]. Tout homme qui ne le sait pas est dans l’ignorance la plus grossière des choses divines. Efforce-toi de devenir aussi bon que possible, mais

  1. Voy. plus haut, p. 183.
  2. Plotin a déjà dit, dans le livre iv de l’Ennéade I, p. 83, que le sage doit lutter contre les coups de la fortune comme un habile athlète.
  3. Voy. encore ce même livre, p.88-91.
  4. Voy. plus haut, p. 177, note 2, et p. 189, note 1.
  5. Voy. plus haut, § 8, p. 277.
  6. Voy. plus haut, p. 178, note 1.