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DEUXIÈME ENNÉADE.

Si l’on objecte que la pensée et la conscience de la pensée sont deux choses logiquement distinctes, nous répondrons qu’on n’établit pas ainsi que ce soient deux hypostases différentes. Ensuite, nous examinerons s’il est possible de concevoir une Intelligence qui penserait seulement sans avoir conscience de sa pensée (νοῦν μὴ παραϰολουθοῦντα ἑαυτῷ ὅτι νοεῖ)[1]. Si nous nous trouvions nous-mêmes dans un tel état, nous qui sommes tout entiers à l’activité pratique et à la raison discursive[2], nous serions regardés comme insensés, fussions-nous d’ailleurs passablement raisonnables. Mais, comme l’Intelligence véritable se pense elle-même dans ses pensées, et que l’Intelligible, loin d’être hors de l’Intelligence, est l’Intelligence même, l’Intelligence, en pensant, se possède et se voit elle-même nécessairement[3].

  1. Voy. Enn. V, liv. iii, § 4.
  2. Voy. Enn. I, liv. i, § 7.
  3. En enseignant ainsi que le sujet pensant, l’objet pensé et la pensée elle-même sont identiques dans l’intelligence divine, Plotin paraît s’être inspiré à la fois de Platon et d’Aristote, comme M. Ravaisson le démontre dans son Essai sur la Métaphysique d’Aristote (t. II, p. 407) : « Aristote a montré que la chose pensée, la chose pensante et la pensée même ne font qu’un. En effet, d’abord l’intelligible et la pensée de l’intelligible ne font qu’un : car c’est le propre de la vérité d’être adéquate à son objet. Tant qu’il reste dans l’objet connu quelque chose d’autre que la connaissance, on ne connaît encore, selon l’expression stoïcienne, qu’une empreinte ; ce n’est pas la vérité absolue, caractère de la pensée pure. Or, d’un autre côté, l’intelligible n’est intelligible que par cela même qu’il est acte : car c’est l’acte et non la puissance qui est l’objet de la pensée. L’intelligible est donc la pensée en action, et par conséquent l’intelligence qui pense. Il est intelligence, et il n’est pas simplement une intelligence en puissance, chez qui la faculté de penser est une chose et l’acte de penser en est une autre : car alors, ainsi qu’Aristote l’avait dit, la puissance formerait son essence et uon l’acte. L’intelligence est tout acte ; cet acte, c’est la pensée même de l’intelligible ; cette pensée est toute l’intelligence, l’intelligence première et essentielle. Donc, comme l’avait démontré Aristote, l’intelligible, la pensée et l’intelligence ne font qu’un. La pensée étant identique à l’intelligible, et celui-ci à l’intelligence, c’est une