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LIVRE CINQUIÈME.

en acte, ce qu’il serait en acte ne serait pas la matière ; par conséquent, la matière ne serait plus absolument matière ; elle ne serait plus matière que relativement, comme l’airain[1]. La matière est donc le non-être ; ce n’est pas une chose qui diffère seulement de l’être, comme le mouvement, qui se rattache à l’être parce qu’il en procède et s’opère en lui[2]. La matière est dénuée et dépouillée de toute propriété : elle ne peut se transformer elle-même, elle reste toujours ce qu’elle était dès le principe, le non-être. Dès le principe elle n’était en acte aucun être, puisqu’elle était éloignée de tous les êtres, qu’elle n’était même devenue aucun d’eux : car jamais elle n’a pu garder un reflet des êtres dont elle a toujours aspiré à revêtir les formes. Son état permanent est de tendre vers autre chose, d’être en puissance par rapport aux choses qui doivent suivre. Comme elle apparaît là où finit l’ordre des êtres intelligibles, qu’elle est contenue par les êtres sensibles qui sont engendrés après elle, elle en est le dernier degré[3]. Étant contenue à la fois dans les êtres intelligibles et les êtres sensibles, elle n’est en acte par rapport à aucune de ces deux classes d’êtres. Elle n’est qu’en puissance ; elle se borne à être une faible et obscure image (ἀσθενές τι ϰαὶ ἀμυδρὸν εἴδώλον), qui ne peut prendre de forme. Ne peut-on pas en conclure que la matière est l’image en acte, qu’elle est, par conséquent, la fausseté (ψεῦδος) en acte ? Oui, elle est véritablement la fausseté, c’est-à-dire, elle est essentiellement le non-être. Si donc la matière est le non-être en acte[4], elle est le non-être au plus haut degré, et à ce titre encore elle est essentiellement le non-être. Elle est donc bien éloignée d’être en acte

  1. Voy. plus haut, p. 225, note 2.
  2. Le mouvement est une des catégories du monde intelligible. Voy. Enn. VI, liv. ii.
  3. Voy. Enn. I, liv. viii, p. 129.
  4. « Tout provient de l’être, mais, sans doute, de l’être en puissance, c’est-à-dire du non-être en acte. » (Métaphysique, XII, 2 ; t. II, p. 205 de la trad.)