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DEUXIÈME ENNÉADE.

couleur, ni lumière, ni grandeur même[1]. Si cette chose avait une grandeur, l’âme lui prêterait une forme.

Quand l’âme ne pense rien, n’est-elle pas dans un état identique à ce qu’elle éprouve quand elle pense à la matière ? Non : quand l’âme ne pense rien, elle n’affirme rien, elle n’éprouve rien. Quand elle pense à la matière, elle éprouve quelque chose, elle reçoit l’impression de l’informe (τύπος τοῦ ἀμόρφου). Quand elle se représente les objets qui ont une forme et une grandeur, elle les conçoit comme composés ; car elle les voit distingués[2] et déterminés par les qualités qu’ils contiennent. Elle conçoit donc le tout et les deux éléments qui le forment. Elle a ainsi une perception claire, une sensation vive des propriétés inhérentes [à la matière]. Au contraire elle n’a qu’une perception obscure du sujet informe, parce que là il n’y a pas de forme[3]. Donc, quand l’âme considère la matière dans le tout, dans le composé, avec les qualités inhérentes à ce composé, elle les sépare, les analyse, et ce que la raison laisse [après cette analyse], l’âme le perçoit vaguement, obscurément, parce que c’est une chose vague, obscure ; elle le pense sans le penser réellement. D’un autre côté, comme la matière ne reste pas informe, qu’elle a toujours une forme dans les objets, l’âme lui impose tou-

  1. Voy. Enn. I, liv. viii, § 9, et plus loin, p. 215.
  2. Au lieu de ϰεχωρισμένα, séparés, il vaut mieux lire ϰεχρωσμένα, colorés, distingués, comme Ficin paraît l’avoir fait.
  3. « Indéterminée, indéfinie, la matière n’est que la puissance d’où sortent les contraires. Elle n’est donc pas l’être ; il n’y a d’être que dans ce qui a pris forme et qui existe en acte. La forme occupe seule le champ de la réalité, et seule y tombe sous l’intuition. La matière ne se laisse pas connaître en elle-même (ἡ ὕη ἄγνωστος καθ’ ἑαυτήν) ; elle ne se laisse pas voir, mais deviner, comme l’inconnue qu’exige la loi de proportion et par laquelle l’induction complète ses analogies ; à l’induction même elle ne se révèle que dans le mouvement où elle cesse d’être elle-même pour arriver à l’être. » (M. Ravaisson, t. I, p. 389.)