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PREMIÈRE ENNÉADE.


V. Puisque le manque de bien est cause que l’âme regarde les ténèbres et s’y mêle, le manque du bien et les ténèbres sont pour l’âme le premier mal. Le second mal sera les ténèbres et la nature du Mal (ἡ φύσις τοῦ ϰαϰοῦ), considérées, non dans la matière, mais avant la matière. Ce n’est pas dans le manque de telle ou telle chose, mais de toute chose en général que consiste le Mal. Une chose qui ne manque du bien qu’un peu n’est donc pas mauvaise par cela seul ; elle peut même être parfaite pour sa nature. Mais ce qui, comme la matière, manque complètement du bien est le Mal par essence et n’a rien de bon. La matière en effet ne possède pas l’être, sinon elle participerait ainsi du bien ; on ne dit qu’elle est que par homonymie, comme on dit, mais avec vérité, qu’elle est le non-être absolu. Ainsi un simple manque [de bien] a pour caractère de n’être pas le bien ; mais le manque complet est le Mal ; le manque moyen consiste à pouvoir tomber dans le mal et est déjà un mal. Le Mal n’est donc pas tel ou tel mal, comme l’injustice ou tel autre vice : le Mal est ce qui n’est encore rien de cela, rien de déterminé. Quant à l’injustice et aux autres vices, il faut les regarder comme des espèces de mal distinguées entre elles par des accidents : c’est ce qui a lieu pour la méchanceté, par exemple. De plus, les diverses espèces du mal diffèrent entre elles soit par la


    Ormuzd parle à Zoroastre dans les livres zends : « Apprends à tous les hommes que tout objet brillant et lumineux est l’éclat de ma propre lumière... Rien dans le monde n’est au-dessus de la lumière, dont j’ai créé le paradis, les anges et tout ce qui est agréable, tandis que l’enfer est une production des ténèbres. » (Voy. M. Franck, Dictionnaire des Sciences philosophiques, tome v : Doctrines religieuses et philosophiques des Perses.) On trouvera aussi plus loin, dans les notes du liv. ix de l’Ennéade II, des rapprochements curieux entre la doctrine de Plotin sur Dieu et celle que contient la Kabbale sur le même sujet. Du reste, le goût que notre philosophe avait pour les idées orientales est attesté par Porphyre lui-même (Voy. Vie de Plotin, § 3).