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LIVRE HUITIÈME.

tions, si elle ne peut bien voir, c’est qu’elle est entravée par les passions, obscurcie par les ténèbres dont l’environne la matière ; c’est qu’elle incline[1] vers celle-ci ; enfin, c’est qu’elle fixe ses regards, non sur ce qui est essence, mais sur ce qui est simple génération[2] : or le principe de la génération, c’est la matière, dont la nature est si mauvaise qu’elle la communique aux êtres qui, même sans lui être unis, la regardent seulement. Comme elle est entièrement dépourvue du bien, qu’elle en est la privation, le manque complet, la matière rend semblable à elle-même tout ce qui la touche. Donc, l’âme parfaite, tournée vers l’Intelligence, toujours pure, éloigne d’elle la matière, l’indéterminé, le défaut de mesure, le Mal en un mot ; elle n’en approche pas, n’y abaisse pas ses regards ; elle demeure pure et déterminée par l’Intelligence. L’âme qui ne reste pas dans cet état et qui sort d’elle-même [pour s’unir au corps], n’étant pas déterminée par le Premier, le Parfait, n’est plus qu’une image de l’âme parfaite parce qu’elle manque [du Bien] et qu’elle est remplie d’indétermination ; elle ne voit que ténèbres ; elle a déjà en elle de la matière parce qu’elle regarde ce qu’elle ne peut voir, parce qu’elle regarde les ténèbres, comme on le dit ordinairement[3].

  1. Voy. liv. i, § 12, p. 49.
  2. Dans cette phrase, la génération signifie les choses engendrées, qui n’ont qu’une existence contingente ou périssable ; aussi Plotin joint-il souvent l’expression de γένεσις à celle de θνητὴ φύσις et de φθορά. Voy. Enn. II, liv. iv, § 5, 6.
  3. Pour l’intelligence de ce passage, Voy. Enn. II, liv. iv, § 10-12. Plotin assimile l’être, l’âme, l’intelligence, le Bien à la Lumière (p. 57, 110, 112, etc., de notre traduction), le non-être, la matière, le Mal aux Ténèbres (p. 106, 123, 132, 135, etc.). Il explique par une irradiation de l’âme la formation du corps : les puissances sensitive, génératrice, nutritive, sont l’image de l’âme qui produit le corps en illuminant la matière, en s’y reflétant comme dans un miroir (p. 45, 47, 49, 137, etc.). Il est impossible de ne pas reconnaître dans ces idées l’esprit oriental, surtout l’influence des dogmes persans. Nous nous bornerons à une seule citation. Voici comment