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PREMIÈRE ENNÉADE.

ombres, l’embellissent et ravissent par là notre admiration.

IV. Laissant les sens dans leur sphère inférieure, élevons-nous maintenant à la contemplation de ces beautés d’un ordre supérieur[1], dont les sens n’ont pas l’intuition, mais que l’âme voit et nomme sans le secours des organes.

De même qu’il nous aurait été impossible de parler des beautés sensibles si nous ne les avions jamais vues, ni reconnues pour telles, si nous eussions été à leur égard semblables à des hommes aveugles de naissance, de même nous ne saurions rien dire ni de la beauté des arts, des sciences et des autres choses de ce genre si nous n’étions déjà en possession de ce genre de beauté ; ni de la splendeur de la vertu si nous n’avions contemplé la face de la justice[2] et de la tempérance, devant l’éclat de laquelle pâlissent l’étoile du soir et celle du matin. Il faut contempler ces beautés par la faculté que notre âme a reçue pour les voir ; alors, à leur aspect, nous éprouverons bien plus de plaisir, d’étonnement, d’admiration, qu’en présence des beautés sensibles parce que nous aurons l’intuition des beautés véritables. Car devant ce qui est beau, les sentiments qu’on doit éprouver sont l’admiration, un doux saisissement, le désir, l’amour, un transport mêlé de plaisir[3]. Tels sont les sentiments que doivent éprouver et qu’éprouvent en effet pour les beautés invisibles presque toutes les âmes, mais celles surtout qui sont les plus aimantes : c’est ainsi que, placés en présence des beaux corps, tous les hommes les voient, mais sans être également émus ; les plus vivement émus sont ceux qu’on désigne sous le nom d’amants[4].

V. Interrogeons donc sur ce qu’ils éprouvent ces

  1. Voy. Platon : Banquet, p. 210 ; Timée, p. 31.
  2. Allusion à cette expression d’un poëte, cité par Athénée (liv. xii, p. 546) : διϰαιοσύνης τὸ ϰρύσεον πρόσωπον.
  3. Voy. Platon : Banquet, p. 191 ; Cratyle, p. 420.
  4. Voy. Enn. I, liv. iii.