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PREMIÈRE ENNÉADE.

tout, ce n’est pas le composé de l’âme et du corps [l’animal][1], comme le prouve la puissance qu’a l’âme de se séparer du corps[2] et de mépriser ce qu’on nomme des biens. Il serait ridicule de prétendre que le bonheur se rapporte à cette partie animale de l’homme, puisqu’il consiste à bien vivre, et que bien vivre, étant un acte, n’appartient qu’à l’âme ; et encore n’est-ce pas à l’âme entière : car le bonheur ne s’étend pas à la partie végétative, n’ayant rien de commun avec le corps ; ni la grandeur du corps, ni le bon état dans lequel il peut se trouver n’y contribuent en rien. Il ne dépend pas davantage de la perfection des sens, parce que leur développement, aussi bien que celui des organes, rend l’homme pesant et le courbe vers la terre. Il faut plutôt, pour rendre plus facile l’accomplissement du bien, établir une sorte de contrepoids, affaiblir le corps et en dompter la force afin de montrer combien l’homme véritable diffère des choses étrangères qui l’enveloppent. Que l’homme vulgaire soit beau, grand, riche, qu’il commande à tous les hommes, jouissant ainsi de tous les biens terrestres : il ne faut pas lui envier le plaisir trompeur qu’il trouve dans ces avantages. Quant au sage, peut-être ne les possédera-t-il pas d’abord ; mais, s’il les possède, il les diminuera de son plein gré s’il a de lui-même le soin qu’il doit avoir ; il affaiblira et flétrira par une négligence volontaire les avantages du corps ; il abdiquera les dignités ; tout en conservant la santé de son corps, il ne désirera pas d’être entièrement exempt de maladies et de souffrances ; s’il ne connaît pas ces maux, il voudra en faire l’épreuve dans sa jeunesse ; mais, arrivé à la vieillesse, il ne voudra plus être troublé ni par les douleurs, ni par les plaisirs, ni par rien de triste ou d’agréable qui soit relatif au corps, pour ne pas être obligé

  1. Voy. Enn. I, liv. i, § 10.
  2. Ὁ χωρισμὸς ὁ ἀπὸ τοῦ σώματος. Sur cette puissance qu’a l’âme de se séparer du corps, Voy. plus haut, Enn. I, liv. i, § 3 et 10.