Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.
C
FRAGMENTS DE NUMÉNIUS.

s’élève au Bien ; il faut un art divin pour y parvenir. Le meilleur moyen est d’abandonner les choses sensibles, de s’appliquer fortement aux mathématiques, jusqu’à ce qu’on arrive à la science supérieure qui consiste à savoir ce que c’est que l’Un[1]. (Prép. évang., XI, 22.)

De l’être corporel et de la matière.

Qu’est-ce que l’être ? Est-ce ce qu’on nomme les quatre éléments, la terre, le feu et les deux natures intermédiaires ? Peut-on appeler êtres ces choses prises toutes ensemble ou chacune séparément ? Non, puisqu’elles sont engendrées et susceptibles de métamorphoses, puisque nous les voyons naître les unes des autres et s’altérer, ne point demeurer sous forme d’éléments ni sous celle d’agrégats[2]. Un corps de cette espèce ne saurait être l’être. Mais alors la matière sera l’être ? encore moins : car elle est incapable de permanence. La matière est un fleuve au cours rapide et impétueux, qui a une longueur, une largeur et une profondeur incommensurables et infinies…

On a eu raison de dire que, si la matière est infinie, elle est indéterminée ; si elle est indéterminée, elle est irrationnelle ; si elle est irrationnelle, elle est inconnue[3]. Étant inconnue, elle est nécessairement désordonnée : car il est facile de connaître ce qui a de l’ordre. Ce qui est désordonné n’a point de permanence ; ce qui n’a point de permanence ne possède pas l’être. Or c’est là précisément ce que nous avons avancé plus haut, quand nous disions que tous ces caractères ne sauraient convenir à l’être. Je voudrais, sur ce point, faire partager ma conviction à tous les hommes. Je le répète donc : ni la matière, ni les corps ne sont l’être. Quoi donc ? n’avons-nous pas quelque chose d’autre dans l’univers ? — Oui. — Il n’est pas difficile de le découvrir, pourvu que nous nous fassions à nous-mêmes ce raisonnement : puisque tous les corps sont de leur nature périssables, inertes, mobiles, sans aucune permanence, n’ont-ils pas besoin d’un principe qui les contienne[4] ? — Assurément. — Subsisteraient-ils sans le secours de ce principe ? Non, certes. — Quel est donc le principe qui contient les corps ? Si c’était un corps, il aurait besoin de Jupiter conservateur pour échapper à la dissolution et à la dispersion. Il faut que ce principe soit affranchi des passions corporelles afin de pouvoir contenir les corps et les préserver de la destruction.

  1. Voy. Plotin, Enn. I, liv. III, § 4, p. 66.
  2. Voy. Enn. II, liv. IV, § 6, p. 201.
  3. Voy. ibid., § 10, p. 210.
  4. Voy. p. 358, note 1.