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SECOND ALCIBIADE

nous aussi une sottise en nous estimant supérieurs en ce point aux Lacédémoniens. Ce serait, en effet, une chose incroyable que les dieux fissent attention à nos offrandes et à nos sacrifices, plutôt qu’à l’âme, pour juger de la sainteté et de la justice de quelqu’un. 150Certes, c’est bien elle qu’ils considèrent, à mon avis, beaucoup plus que ces somptueuses processions et ces sacrifices, qu’un particulier ou une ville, tout en accumulant les fautes contre les dieux et contre les hommes, peut facilement accomplir chaque année. Mais eux, qui ne sont pas corruptibles, méprisent tout cela, ainsi que le déclare le dieu et l’interprète des dieux[1]. Il y a donc chance que chez les dieux et chez les hommes sensés, la justice et la sagesse soient honorées par-dessus tout. bOr, les gens raisonnables et justes sont précisément ceux qui savent comment il faut agir et parler en présence des dieux ou des hommes[2]. Je voudrais bien te demander quelle est ton idée là-dessus.

Alcibiade. — Mais, Socrate, je n’en ai pas d’autre que la tienne et celle du dieu. Il ne serait pas convenable, en effet, de me prononcer contre le dieu.

Socrate. — Ne te rappelles-tu pas m’avoir exprimé ton grand embarras, redoutant de demander à ton insu des maux, cen les prenant pour des biens ?

Alcibiade. — Parfaitement.


Conclusion.

Socrate. — Tu vois donc comme il est peu sûr pour toi d’aller prier le dieu : il serait à craindre que t’entendant proférer des demandes blasphématoires, le dieu ne repousse ce sacrifice et que tu risques de recueillir toute autre chose. Tu feras mieux, à mon avis, de rester tranquille. Car, pour ce qui est de la prière des Lacédémoniens, dans ton exaltation d’esprit (c’est là le plus beau nom pour le manque de bon sens)[3], tu ne

  1. Le thème développé par les poètes, « enfants et prophètes des dieux », sur la facilité à corrompre la divinité par les vœux et les offrandes, est rappelé avec beaucoup de force par Glaucon dans la République II, 365 et suiv. Platon le réfute vigoureusement (Rép. III, 390 a).
  2. Ce passage est un raccourci de Gorgias 507. On notera spécialement la définition des « gens raisonnables et justes » qui est la reproduction presque textuelle de la formule exprimée par le Socrate du Gorgias (507 a).
  3. Cf. 138 c. — Aristote donne aussi Alcibiade comme exemple