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SECOND ALCIBIADE

à gauche, tu ne sais où te fixer et l’opinion que tu affirmais le plus fortement, tu la rejettes maintenant et ne la regardes plus du même œil) ; 148supposons donc que le dieu auprès duquel tu te rends vienne maintenant à t’apparaître et te demande, avant que tu commences à prier, s’il t’agréerait d’obtenir quelqu’une des choses dont il était question au début, ou qu’il te permette d’exprimer les vœux, que jugerais-tu de plus opportun : accepter ce qu’il te donnerait ou voir exaucer les propres prières ?

Alcibiade. — Par les dieux, Socrate, je ne sais que te répondre. Mais voilà qui me paraît bien difficile et qui mérite vraiment qu’on y fasse grande attention, bpour ne pas demander à son insu des maux, croyant demander des biens, quitte à chanter un moment après la palinodie, comme tu le disais, en rétractant sa première prière.

Socrate. — N’en savait-il pas plus que nous le poète dont j’ai fait mention au début de notre entretien, lui qui priait d’éloigner les maux, même si on les demandait[1] ?

Alcibiade . — Il me le semble.


La prière sensée
des Lacédémoniens.

cSocrate. — Les Lacédémoniens également, Alcibiade, soit qu’ils veuillent rivaliser avec ce poète, soit qu’ils l’aient trouvée eux-mêmes, formulent toujours, en privé ou en public, une prière analogue : ils supplient les dieux d’ajouter aux biens qu’ils leur accordent l’honnêteté, et nul ne les entendrait jamais demander autre chose[2]. Or, jusqu’ici, ils ne sont pas moins heureux que d’autres. S’il leur est arrivé de

    thèse de l’inspiration poétique est développée par Platon dans le charmant dialogue intitulé Ion. Le poète est assimilé au devin, au prophète, à l’homme dont les dieux ont ravi l’esprit. Voir aussi Ménon, 98 d.

  1. Cf. 143 a.
  2. La formule à laquelle le dialogiste fait allusion est rapportée telle quelle par Plutarque : Εὐχὴ δ’ αὐτῶν διδόναι τὰ καλὰ ἐπὶ τοῖς ἀγαθοῖς, καὶ πλέον οὐδέν (Inst. Lac., 27). L’addition : ταῖς εὐχαῖς προστιθέασι τὸ ἀδικεῖσθαι δύνασθαι. (ibid., 26) provient, sans doute, d’une source différente et a été insérée dans le texte du moraliste. L’influence stoïcienne ou cynique transparaît dans cette addition. Voir la notice p. 11.