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SECOND ALCIBIADE

cAlcibiade. — Je ne le crois pas.

Socrate. — Car lui non plus n’avait pas l’intention de tuer la première femme venue ou la mère de n’importe qui, mais la sienne propre.

Alcibiade. — C’est bien cela.

Socrate. — Cette sorte d’ignorance, du moins, est donc un bien pour ceux qui se trouvent ainsi disposés et ont de semblables idées.

Alcibiade. — Il le paraît.

Socrate. — Tu vois, par conséquent, que l’ignorance de certaines choses, pour certaines gens et dans de certaines conditions, est un bien, non un mal, comme il te le semblait tout à l’heure ?

Alcibiade. — Apparemment.

dSocrate. — Si tu veux maintenant examiner ce qui va suivre, tu le trouveras peut-être étrange.

Alcibiade. — Mais quoi donc, Socrate ?


Bon sens
et
Science du Bien.

Socrate. — C’est que, à vrai dire, la possession des autres sciences, si avec elles on n’a aussi celle du Bien, risque d’être rarement utile et d’être, au contraire, le plus souvent nuisible à qui en jouit. Fais attention à ceci : ne te semble-t-il pas nécessaire, quand nous devons agir ou parler, que d’abord nous nous imaginions savoir, ou que nous sachions en réalité cela même que nous sommes prêts à dire ou à faire[1] ?

Alcibiade. — Il me le semble.

Socrate. — Aussi les orateurs, par exemple, ou bien sont des conseillers compétents, ou s’imaginent l’être quand ils nous prodiguent leurs conseils, les uns sur la guerre et la paix, les autres sur les fortifications à élever ou les ports à construire ; 145bref, tout ce qu’une ville entreprend contre une autre ou pour elle-même, elle le fait sur le conseil des orateurs.

  1. Comparer avec l’argument d’Alcibiade I, 117 d. Socrate démontre que les erreurs de conduite proviennent de ce genre d’ignorance consistant à croire que l’on sait ce qu’en fait on ne sait pas. Or, nous nous imaginons avoir de la compétence pour tout ce que nous entreprenons, sans quoi nous nous en remettrions à d’autres. Quand donc nous nous prononçons sur le beau, le juste, ou l’utile,