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NOTICES

ce qu’ils voient les rend souvent ridicules aux yeux des habiles phraseurs.

De cette digression, Platon veut tirer les conclusions suivantes : la science, — et par science, il entend la vision du réel, — n’est pas chose aisée[1]. On ne l’apprend pas dans les livres : ceux-ci, expliquait déjà le Phèdre, n’ont d’autre fonction que d’exercer l’esprit, de réveiller les souvenirs, non de communiquer directement la science. C’est de l’âme seule que peut jaillir la lumière, si l’esprit est de bonne qualité et si, par un contact assidu avec le maître, le disciple a su trouver le stimulant nécessaire pour prendre conscience de la vérité. Car les deux conditions sont requises : d’abord, l’affinité avec l’objet : comment comprendrait-on le juste et le beau, si l’âme ne participait à la justice, à la beauté ? Μὴ καθαρῷ γὰρ καθαροῦ ἐφάπτεσθαι μὴ οὐ θεμιτὸν ᾖ, dit le Phédon (67 b). Comment percevrait-on la vérité, si l’esprit lui était étranger ? Mais la disposition morale ne suffit pas ; il faut, en plus, l’exercice. Une sage dialectique, sous la direction du maître, ouvrira l’intelligence : « Ce n’est que lorsqu’on a péniblement frotté, les uns contre les autres, noms, définitions, perceptions de la vue et impressions des sens, quand on a discuté dans des discussions bienveillantes où l’envie ne dicte ni les questions ni les réponses, que, sur l’objet étudié, vient luire la lumière de la sagesse et de l’intelligence avec toute l’intensité que peuvent supporter les forces humaines. » Zénon, porte-parole de Platon en la circonstance, il est permis de le croire, disait de même dans le Parménide, en des termes qui rappellent ceux de la lettre : « Le public, en effet, ignore totalement que, faute d’avoir ainsi exploré toutes les voies en tous les sens, on ne saurait rencontrer le vrai de manière à acquérir l’intelligence » (136 e). Et ces « discussions bienveillantes où l’envie ne dicte ni les questions ni les réponses », sont-elles autre chose que cette dialectique sage et sobre que le réformateur de la République oppose aux logomachies des jeunes gens, toujours avides de réfuter, et, comme de petits roquets, de tirailler et de

  1. On comparera ce que Platon écrit dans le même esprit au XIIe l. des Lois, 968 d à propos des sciences que doit apprendre le futur législateur. Μετὰ δὲ τοῦτο ἃ δεῖ μανθάνειν οὔτε εὑρεῖν ῥᾴδιον οὔτε εὑρηκότος ἄλλου μαθητὴν γενέσθαι.