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LA RÉPUBLIQUE VII

Et dignes de pitié, ajouta-t-il.

Pour ne pas exposer à cette pitié les hommes de trente ans que tu as choisis, ne faut-il pas prendre toutes les précautions possibles, avant de les mettre à la dialectique ?

Assurément si, dit-il.

Eh bien, n’est-ce pas déjà une importante précaution de les empêcher de goûter à la dialectique, bquand ils sont jeunes ? Tu n’es pas sans avoir remarqué, je pense, que les adolescents qui ont une fois goûté à la dialectique en abusent et s’en font un jeu, qu’ils ne s’en servent que pour contredire, qu’à l’exemple de ceux qui les confondent, ils confondent les autres à leur tour, et que, semblables à de jeunes chiens, ils prennent plaisir à tirailler et à déchirer avec le raisonnement tous ceux qui les approchent[1].

C’est en effet pour eux un plaisir sans pareil, dit-il.

Après avoir souvent confondu leurs contradicteurs ou avoir été souvent confondus eux-mêmes, cils en arrivent rapidement à ne plus rien croire du tout de ce qu’ils croyaient auparavant ; et par suite eux-mêmes et avec eux toute la philosophie se trouvent décriés dans l’opinion publique.

Rien de plus vrai, dit-il.

Arrivé à un âge plus mûr, repris-je, on ne voudra pas donner dans cette manie ; on imitera plutôt celui qui veut discuter pour rechercher la vérité que celui qui par plaisir s’amuse à contredire, det, se montrant soi-même plus mesuré, on fera respecter la profession du philosophe, au lieu de l’exposer au mépris.

C’est juste, dit-il.

N’est-ce pas uniquement en vue de la même précaution qu’avant d’aborder ce point, je disais qu’il ne faut admettre aux exercices de la dialectique que des esprits modérés et fermes, et qu’au rebours de ce qui se fait aujourd’hui, il ne faut pas en laisser approcher le premier venu, qui n’y apporte aucune disposition ?

  1. Platon a souvent insisté sur les dangers de la dialectique pratiquée trop tôt et sur le scepticisme où elle conduit, en particulier dans le Philèbe 15 d : « Le jeune homme se jette d’abord lui-même plus qu’aucun autre dans l’embarras, et il embarrasse ensuite tous ceux qui l’approchent…, il ne fait quartier ni à son père ni à sa mère, ni à aucun de ceux qui l’écoutent, etc. » Cf. Phédon 90 c.