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LA RÉPUBLIQUE VII

offusqués par les ténèbres, en venant brusquement du soleil ?

Assurément si, dit-il.

Et s’il lui fallait de nouveau juger de ces ombres et concourir avec les prisonniers qui n’ont jamais quitté leurs chaînes, pendant que sa vue est encore confuse et avant que ses yeux se soient remis et accoutumés à l’obscurité, 517ce qui demanderait un temps assez long, n’apprêterait-il pas à rire[1] et ne diraient-ils pas de lui que, pour être monté là-haut, il en est revenu les yeux gâtés, que ce n’est même pas la peine de tenter l’ascension ; et, si quelqu’un essayait de les délier et de les conduire en haut, et qu’ils pussent le tenir en leurs mains et le tuer, ne le tueraient-ils pas[2] ?

Ils le tueraient certainement, dit-il.


Ces prisonniers
sont notre image.

III  Maintenant, repris-je, il faut, mon cher Glaucon, appliquer exactement cette image à ce que nous avons dit plus haut : bil faut assimiler le monde visible au séjour de la prison, et la lumière du feu dont elle est éclairée à l’effet du soleil ; quant à la montée dans le monde supérieur et à la contemplation de ses merveilles, vois-y la montée de l’âme dans le monde intelligible, et tu ne te tromperas pas sur ma pensée, puisque tu désires la connaître. Dieu sait si elle est vraie ; en tout cas, c’est mon opinion, qu’aux dernières limites du monde intelligible est l’idée du bien, qu’on aperçoit avec peine, cmais qu’on ne peut apercevoir sans conclure qu’elle est la cause universelle de tout ce qu’il y a de bien et de beau ; que dans le monde visible, c’est elle qui a créé la lumière et le dispensateur de la lumière ; et que dans le

  1. Cf. Phèdre 249 d : « Détaché des passions humaines et occupé des choses divines, le philosophe encourt les reproches de la foule qui le tient pour insensé et ne s’aperçoit pas qu’il est inspiré. » Cf. Théétète 174 c/d.
  2. C’est évidemment la mort de Socrate qui à inspiré ces lignes à Platon. Le texte en est difficile à expliquer. L’infinitif ἀποκτεινύναι ἄν semble ne dépendre de rien. Schneider le rattache à ἆρ’ οὐ …λέγοιτο, qui dans la pensée de Platon équivaut à ἆρ’ οὐκ οἴει γέλωτ’ ἂν αὐτὸν παρασχεῖν καὶ λέγεσθαι ἄν, λέγεσθαι ἄν étant lui-même l’équivalent d’ἐκείνους ἂν εἰπεῖν. C’est cet ἐκείνους qui serait le