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INTRODUCTION

du nom de philosophes. Ils n’y ont aucun droit : épris, non de sapience et de science, mais de vraisemblance et d’opinion, ils sont tout simplement des philodoxes (480).

Que vient faire, dans une définition de « l’homme de gouvernement », ce long développement sur ce qu’on appelle « la théorie platonicienne des Idées » ? Ne marque-t-il pas l’intrusion de préoccupations métaphysiques toutes nouvelles, et n’est-il pas le premier indice que ces Livres V-VII sont une addition très postérieure au projet de cité parfaite[1] ? Non : l’ascension à un plan supérieur est manifeste ici, mais elle est naturelle et logique. Lorsque nous formions les âmes de nos gardiens aux vertus de caractère et d’habitude, le mot « philosophie » permettait d’opposer, à l’ardeur d’un courage brutal, la douceur d’une nature avide de connaître et d’aimer : le philosophe était, dans ce sens-là, un philomathe (376 b). Les enseignements qu’on lui donnait mettaient seulement en lui, nous l’avons vu, des opinions droites aussi stables que possible. Cependant, lorsque, pour définir la justice, on caractérisait la vertu propre de chaque classe sociale, on laissait entrevoir déjà, dans la sagesse des gouvernants, le résultat « d’opinions droites fortifiées par l’intelligence, μετὰ νοῦ τε καί ὀρθῆς δόξης ; » (431 c). À cette heure, il ne s’agit plus de la première formation des gardiens, il s’agit de l’éducation supérieure de ceux qui, parmi eux, seront appelés à gouverner. Comment Platon ne tiendrait-il pas à distinguer, dès l’abord, cette éducation supérieure de celle que les rhéteurs d’alors offraient comme la seule suffisante et la seule efficace ? Les esprits politiques de tous les temps font profession d’être des réalistes et de voir les choses comme elles sont. Or, elles sont, à leur dire, mobiles et fluentes : cités, constitutions, mœurs, religions et dieux même naissent, meurent, se transforment au gré des opinions et des passions

  1. C’est l’idée de Krohn, qui fait se succéder I-IV, VIII-X, V-VII (Die Platonische Frage, 1878) ; — de Rohde (Psyché, 1894 et suiv.) : II, 10-V, 450 (récit des Atlantides) ; V, 460 d-476 e ; VIII, IX en gros, X, 608 ad fin. ; V, 476 c-VII ; IX, 580 d-588 a ; X à 608 b (donc tout ce qui tient à la théorie des Idées est postérieur) ; — de Pfleiderer (Zur Lösung d. plat. Frage, 1888, et Sokrates u. Plato, 1896) : V, 471 c-VII en dernier lieu ; — de W. Christ aussi (Gr. Lit., p. 386), mais la 6e éd. (W. Schmid, 1912, p. 688) regarda cette opinion comme a très discutable ».