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INTRODUCTION

nesse, l’homme capable de réaliser cet indispensable mélange de la douceur et de la force (412 b). Une « philosophie exempte de mollesse », un esprit cultivé servant une volonté robuste, d’autres, avant Platon, ont exprimé cet idéal. Ici encore Platon est de son pays et de son temps. Mais il ne fait pas seulement, de cet idéal, la règle de sa psychologie et de sa politique, ici et dans le Théétète, dans le Politique, dans les Lois ; il en fait la loi même du Créateur, qui ordonne et gouverne l’univers en pénétrant d’intelligence l’aveugle matière et en mariant, au service du Bien, la persuasion et la force, l’Esprit et la Nécessité[1].


La condition
des gardiens.

Quelle hiérarchie mettrons-nous entre ces gardiens ? Comment distinguerons-nous ceux qui doivent commander aux autres ? Nous choisirons naturellement pour chefs les plus âgés et les meilleurs, ceux qui auront subi le plus longtemps notre dressage et se seront montrés le plus constamment prudents, énergiques, dévoués de cœur et d’action à la cité. Les opinions droites et les bons sentiments que cette éducation première leur confère n’ont pas encore de racines scientifiques, ce sont des vertus de caractère et d’habitude que l’oubli, la crainte, la séduction peuvent encore ébranler. Soumettons-les à ces dangers contraires, étudions-les aux prises, non seulement avec le temps et l’oubli, avec les fatigues, les souffrances, les combats, mais aussi avec les plaisirs. Ceux qui sortiront vainqueurs de cette diversité d’épreuves, nous leur donnerons l’autorité, et nous les appellerons gardiens parfaits : quant aux plus jeunes, que nous nommions jusqu’ici des gardiens, ils seront les assistants et les auxiliaires des chefs (414 b).

Mais l’autorité a besoin d’un peu de mystère et de lointain. Nous arrangerons une fable que nous essaierons de persuader aux chefs eux-mêmes, en tout cas au reste des citoyens. Gouvernants, guerriers, artisans ou laboureurs, ils sont tous

  1. Cf. note ad loc. On retrouvera cette préoccupation de l’heureux mélange dans le portrait du philosophe (Rép., 503 c/d) auquel correspond celui du jeune Théétète (Théét., 144 a/b). La loi du créateur (Timée, 48 a) est aussi celle du législateur (Rép. 519 e, Lois 722 b, Polit. 308 ad fin.).