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INTRODUCTION

lusion. Les concordances d’idées et de formules sont multiples, surtout avec ce dernier dialogue[1].

Quant à la tragédie et à son chef, Homère, que valent ses prétentions d’omniscience ? Platon fait ici une réponse curieuse : si le poète savait réellement ce qu’il se donne l’air de savoir, il ferait de l’action et non de l’imitation, il serait chef d’armée ou législateur, et préférerait vivre une grande vie plutôt que de la raconter (599 b). Nous pourrions observer que les gens qui rêvent et parlent le plus de l’action sont ceux qui, par la force des choses ou de leur tempérament, en font le moins. La vie est courte : ceux mêmes qui suivent la carrière de leur choix s’imaginent volontiers dans une autre, dont ils caressent le regret. Adam rappelle finement les rêves d’action qui tourmentent les hommes de lettres. Mais il y a davantage ici : nous savons que la philosophie politique de Platon, ou plutôt que toute la philosophie de Platon n’est que de l’action entravée, et, par compensation, — mais lui ne le savait pas, — de l’action condensée pour les siècles à venir. Si le Protagoras déjà, et surtout le Phèdre et la Lettre VII mettent l’enseignement oral tellement au-dessus de l’enseignement écrit[2], n’est-ce pas que l’enseignement oral est de l’action, alors que le dialogue demeura toujours, aux yeux de Platon, de la « littérature » ? Homère, en effet, poursuit Platon, n’a connu l’action ni comme chef d’armée ni comme législateur ni comme fondateur d’école : il n’a même pas groupé ici ou là des disciples comme l’ont fait les Sophistes. Si on l’a laissé continuer sa route errante sans l’arrêter au passage ou chercher à le suivre, c’est qu’on n’attendait de ses leçons aucun bien (600 e).

La poésie n’est, en effet, comme la peinture, qu’un charlatanisme et une magie. Magie de musique : ôtez-lui ses agencements de mots, ses rythmes, ses harmonies, comme elle est

  1. Cratyle, 386 a/7 b (cf. éd. de L. Méridier, Paris, 1931, p. 8 et 30). Sophiste, 288 a/6d, 264 c ad fin. (éd. A. Diès, 1926, p. 271).
  2. Comparer Protagoras, 329 a (les rhéteurs ὥσπερ βιβλία οὐδὲν ἔχουσιν οὔτε ἀποκρίνασθαι οὔτε αὐτοὶ ἐρέσθαι κ. τ. λ.) à Phèdre, 270 d et Ép. VII, 341 c. Les propos de Platon sur l’imperfection du discours écrit ne sont donc pas l’écho de doutes tardifs, comme on l’a dit trop souvent. Sur cette continuité d’opinion chez Platon, cf. Friedländer, Platon, Eidos, p. 182 et suiv. (Rev. de Philol., V, 3 (1981), p. 284).