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CRATYLE

Hermogène. — Et alors ?

Socrate. — Eh bien, à mon avis, celui-là est voisin d’Astyanax, et ces noms ont l’air grec[1]. Anax et Hector ont à peu près le même sens, indiquant que l’un et l’autre sont des noms de roi. Car ce dont on est le chef (anax), on en est sans doute aussi le détenteur (hectôr)[2] ; il est clair en effet qu’on en est b maître, qu’on le possède et le détient (ékhéï). Ou bien trouves-tu que j’ai tort, et me fais-je illusion à moi-même, en croyant saisir comme une trace de la pensée d’Homère sur la justesse des noms ?

Hermogène. — Non, par Zeus ! ce n’est pas ton cas, il me semble, et peut-être en saisis-tu quelqu’une.


Le nom et la génération naturelle.

Socrate. — On est assurément en droit, à mon avis, d’appeler lion le petit d’un lion, et cheval le petit d’un cheval[3]. Je ne parle pas du cas où, par une sorte de monstruosité, un cheval donne naissance à autre chose qu’un cheval ; j’entends ce qui est le fruit c naturel de la race : si un cheval donne le jour, contre nature, à ce qui est le produit naturel d’un taureau, ce n’est pas un poulain qu’il faut l’appeler, mais un veau ; et si d’une créature humaine, je suppose, naît autre chose que le rejeton d’un homme, le nom d’homme ne doit pas davantage être donné à ce rejeton ; de même pour les arbres et pour tout le reste. Ne partages-tu pas mon avis ?

Hermogène. — Je le partage.

Socrate. — Tu as raison : surveille-moi de peur que je ne t’induise en erreur. C’est en effet d’après le même principe que le rejeton né d’un roi doit porter le nom de roi. Que le même sens s’exprime par telles d ou telles syllabes, peu importe ; qu’une lettre soit ajoutée ou retranchée, cela non plus n’a aucune importance, tant que domine l’essence de l’objet manifestée dans le nom.

  1. Quoique portés par des Barbares.
  2. L’étymologie est exacte. Ἕκτωρ est donné comme épithète à Zeus chez Sappho (Bergk, Poetae lyrici graeci, 149 [107], Hésychius) ; chez Lycophron (v. 100) et Lucien (Lexiphane, 15), le mot est pris au sens d’ancre.
  3. Sur la valeur des considérations qui suivent, voir la Notice, p. 16.