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CRATYLE

Socrate. — Faut-il croire qu’on ne ment pas non plus en l’appelant Hermogène ? Car il n’est pas possible non plus de l’appeler Hermogène, s’il ne l’est pas[1] ?

Cratyle. — Comment l’entends-tu ?

Socrate. — Qu’il soit absolument impossible de parler faux, d est-ce là ce que tu veux dire ? C’est une thèse souvent soutenue, mon cher Cratyle, de nos jours comme autrefois.

Cratyle. — En effet, Socrate, en disant ce qu’on dit, comment ne pas dire ce qui est[2] ? Parler faux ne consiste-t-il pas à ne pas dire ce qui est ?

Socrate. — Le raisonnement est trop subtil pour moi et pour mon âge, mon camarade. Cependant, une question encore : s’il est impossible de parler faux, n’est-il pas possible, à ton avis, e d’affirmer des faussetés ?

Cratyle. — Pas davantage d’en affirmer.

Socrate. — Ni d’en énoncer, ni d’en adresser ? Suppose, par exemple, que quelqu’un, te rencontrant à l’étranger, te prenne la main en disant : « Salut ! étranger athénien, Hermogène, fils de Smicrion » ; ces mots, les dira-t-il, ou les affirmera-t-il, ou les énoncera-t-il ? S’adressera-t-il ainsi, non pas à toi, mais à Hermogène ici présent ? ou à personne ?

Cratyle. — À mon avis, Socrate, il n’émettra que de vains sons.

Socrate. — Contentons-nous de cette réponse. Sont-ils vrais 430 ou faux, ces sons qu’il émettra ? Ou vrais en partie, et en partie faux ? La réponse encore suffira.

Cratyle. — Il ne fait que du bruit, voilà ce que je dirai, moi, de cet homme ; il s’agite inutilement, comme s’il agitait un vase d’airain en le frappant.


Le nom est une imitation qui peut être inexacte.

Socrate. — Voyons, Cratyle, s’il y a moyen de nous entendre. N’admettras-tu pas que le nom est une chose, et que l’objet auquel appartient le nom en est une autre ?

  1. L’existence du discours faux avait été admise sans discussion par Hermogène comme une chose évidente (385 b). — Sur le sophisme déjà ancien et fort répandu dont parle Socrate, voir la Notice, p. 45.
  2. Affirmation présentée sous forme interrogative. Μὴ (et non οὐ)