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CRATYLE

expliquions par conjecture les opinions des hommes à leur endroit[1]. Faut-il nous mettre à l’œuvre en nous disant cette fois à nous-mêmes que, si ces distinctions devaient être faites, soit par tout autre, soit par nous, c’est ainsi qu’il faudrait les faire, mais qu’en l’état présent, c’est « suivant nos forces », comme dit le proverbe[2], que nous devrons nous en occuper ? Est-ce ton avis, ou quelle est ton idée ?

Hermogène. — C’est absolument mon avis.

Socrate. — Il paraîtra, d je crois, risible, Hermogène, d’expliquer les choses par les lettres et les syllabes qui les imitent. Cependant c’est une nécessité. Car nous n’avons rien de mieux à quoi nous référer pour la vérité des noms primitifs, à moins, si tu préfères, d’imiter les auteurs tragiques qui, lorsqu’ils sont dans l’embarras recourent, aux machines en élevant des dieux dans les airs[3]. Devons-nous de même nous tirer d’affaire en disant que les noms primitifs ont été établis par les dieux, et sont justes pour cette raison ? Pour nous aussi e est-ce là la meilleure réponse ? Ou faut-il dire que nous les avons reçus de certains Barbares et que les Barbares sont plus anciens que nous ? Ou encore que leur ancienneté en rend l’examen 426 impossible, comme pour les noms barbares ? Autant d’échappatoires qui seraient fort ingénieuses si l’on se refusait à rendre compte de la justesse des noms primitifs. Mais de quelque façon que l’on ignore en quoi consiste la justesse de ces noms primitifs, il est bien impossible de connaître celle des dérivés, qui s’expliquent nécessairement par les premiers, dont on ne sait rien. Qui se dit compétent sur les derniers doit évidemment pouvoir fournir l’explication la plus complète et la plus nette b des noms primitifs, ou bien se persuader que sur les dérivés il ne dira dès lors que des sornettes. Es-tu d’un autre avis ?

Hermogène. — Pas le moins du monde, Socrate.

  1. Cf. 401 a.
  2. Ces mots paraissent faire allusion au proverbe : « Faisons, non comme nous voulons, mais comme nous pouvons. » Cf. Hipp. maj., 301 c.
  3. Le procédé du deus ex machina était assurément commode pour l’auteur dramatique. Euripide, comme on sait, en a usé jusqu’à l’excès, bien qu’il s’en serve non seulement pour dénouer des situations difficiles, mais aussi pour annoncer l’avenir. Aristote dit dans la Poétique, 1454 ab : « Il est clair que le dénouement de l’action