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CRATYLE

Hermogène. — Mais vraiment, Socrate, tu fais de grands progrès !

Socrate. — J’ai l’air, ce me semble, d’être déjà fort avancé en savoir.

Hermogène. — Tout à fait.

Socrate. — Bientôt tu le diras encore davantage.


Les notions morales.

Hermogène. — 411 Après cette catégorie, j’aurais personnellement plaisir à voir comment peuvent se justifier ces beaux noms qui se rapportent à la vertu, comme pensée, compréhension, justice et tous les autres de même sorte.

Socrate. — Tu réveilles là, mon camarade, une espèce de mots peu ordinaire ! Cependant, puisque j’ai revêtu la peau du lion[1], il ne s’agit pas de reculer, mais il faut, ce semble, soumettre à l’examen pensée, compréhension, connaissance, science et tous ces autres beaux noms dont tu parles.

Hermogène. — b Parfaitement ; nous ne devons pas lâcher pied avant de l’avoir fait.

Socrate. — En vérité, par le chien ! je ne crois pas avoir été mauvais devin en imaginant tout à l’heure[2] que les hommes du passé le plus lointain, ceux qui établissaient les noms, ont fait essentiellement comme la plupart des sages de nos jours ; à force de tourner en rond en cherchant la nature des êtres, ceux-ci sont pris de vertige ; et par suite, les choses leur semblent tourner, emportées dans un mouvement universel. c Ce n’est pas à l’affection dont ils sont atteints qu’ils attribuent cette façon de voir, mais à la nature même des choses : suivant eux, il n’y a en elles rien de permanent ni de fixe ; elles s’écoulent et se meuvent, et sont entièrement pleines de mouvement et de devenir. En parlant ainsi, je songe à tous les noms qui nous occupent en ce moment.

Hermogène. — Comment cela, Socrate ?

Socrate. — Peut-être n’as-tu pas compris ce que nous di-

  1. Voir la Notice, p. 45. La fable d’Ésope conte qu’un âne, revêtu d’une peau de lion, mettait en fuite hommes et animaux. Mais le vent ayant fait tomber son déguisement, l’âne, reconnu pour tel, se vit rossé par tout le monde. — D’ailleurs Platon fait aussi allusion aux luttes d’Héraclès, couvert de la dépouille du lion de Némée.
  2. Voir 401 d, 402 a, etc.