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CRATYLE

Hermogène. — Parfaitement.

Socrate. — Le nom de Poséïdon me semble avoir été donné par son premier auteur parce qu’il e fut arrêté dans sa marche par la nature de la mer, qui l’empêcha d’aller plus loin et fut comme une entrave à ses pieds. Le dieu qui commande à cette force reçut donc de lui le nom de Poséïdon, comme entravant les pieds (posidesmon) : l’e a été ajouté sans doute pour l’élégance[1]. Peut-être toutefois n’est-ce pas là le sens, et à la place du s prononçait-on deux l à l’origine, pour indiquer que ce dieu 403 sait bien des choses (poll’ éïdôs) ; peut-être aussi a-t-il été nommé l’ébranleur (ho séïôn), de séïéïn (ébranler), avec addition du p et du d. Quant à Pluton, il a dû son nom à ce qu’il donne la richesse[2], car c’est des profondeurs de la terre que la richesse (ploutos) monte au jour. Pour Hadès, la plupart me semblent admettre que ce nom exprime l’invisible (aéïdès)[3], et c’est par crainte de ce nom qu’ils l’appellent Pluton.

Hermogène. — Et toi, Socrate, b que t’en semble ?

Socrate. — Les hommes, à mon avis, ont commis bien des erreurs sur la fonction de ce dieu, et le redoutent sans raison. Que chacun de nous, une fois mort, habite là-bas pour toujours, ils le redoutent ; et que l’âme s’en aille le trouver dépouillée du corps, voilà encore qui les emplit de crainte ; mais, selon moi, tout converge vers le même sens, le pouvoir du dieu comme son nom.

Hermogène. — Comment cela ?

Socrate. — Je vais t’expliquer ma pensée. Dis-moi : c des liens qui obligent n’importe quel être vivant à demeurer n’importe où, quel est le plus fort, la nécessité ou le désir ?

  1. À plusieurs reprises Socrate fait entrer en compte, dans ses explications étymologiques, le désir qu’ont eu les hommes d’ « enjoliver » les noms, quitte à les défigurer. Voir notamment 414 c.
  2. L’explication est exacte. Pluton est le distributeur de la richesse, plus exactement le dieu de l’abondance agricole, car la terre dont il habite les profondeurs produit les fruits qui sont la nourriture de l’homme. C’est à ce titre que le laboureur, suivant les Travaux (v. 465 sq.), doit invoquer, en même temps que la « pure » Déméter, celui qu’Hésiode appelle le « Zeus chthonien ».
  3. Dans le Phédon, le nom d’Hadès est expliqué par le caractère invisible (ἀειδής) du lieu qui est le séjour de ce dieu — interprétation écartée ici par Socrate.