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EUTHYDÈME

dans ce genre de discours. » Je lui dis alors : « Quelle impression t’ont-ils faite ? — Quelle impression ? dit-il. Mais, naturellement, celle qu’on ne peut manquer d’avoir à écouter les gens de cet acabit, des bavards qui donnent un soin futile à des futilités. » Telles furent, presque mot pour mot, ses paroles. « Cependant, répondis-je, c’est une jolie chose que la philosophie. — Comment jolie ? mon pauvre Criton ; dis plutôt : sans valeur. 305 Si tu t’étais trouvé là, tu en aurais été, je pense, accablé de honte pour ton ami ; tant il montrait d’extravagance en voulant se livrer à des gens qui n’ont cure de ce qu’ils disent, et s’attachent au premier mot venu ! Et note, comme je le disais tout à l’heure, qu’ils comptent aujourd’hui parmi les plus éminents. En fait, Criton, cette occupation elle-même et les gens qui s’y consacrent sont inférieurs et ridicules. » Pour moi, Socrate, l’occupation ne me semblait pas mériter les critiques b de cet homme ni de personne ; mais que l’on consente à discuter avec cette sorte de gens devant un nombreux auditoire, voilà, selon moi, ce qu’il avait raison de blâmer.

Socrate. — Criton, les gens de cette sorte[1] sont étonnants. Mais au fait je ne sais encore que dire. À quelle catégorie appartenait ton interlocuteur, ce censeur de la philosophie ? Était-ce un de ces hommes experts à plaider devant les tribunaux, un orateur[2], ou un de ceux qui les y envoient, un faiseur de plaidoyers à l’usage des orateurs ?

Criton. — Un orateur ? En aucune façon, par Zeus ! c Je ne crois même pas qu’il se soit jamais présenté devant un tribunal, mais on dit qu’il est entendu dans la matière, oui par Zeus ! et habile, et qu’il compose d’habiles discours.


Jugement de Socrate sur l’interlocuteur anonyme.

Socrate. — Maintenant j’y vois clair : c’est d’eux que j’allais moi-même parler à l’instant. Ce sont eux, Criton, qui, comme le disait Prodicos, forment la limite entre le philosophe et l’homme d’État. Ils croient être les

  1. Du genre de cet inconnu. Voir la Notice, p. 133 sq.
  2. Le mot désigne ceux qui prennent la parole en public — devant l’Assemblée ou dans les tribunaux. Il peut donc, par extension, s’appliquer aux plaideurs qui débitent des discours composés par un