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EUTHYDÈME

ment produire, mais non tirer parti de ce qu’elle a produit. N’est-il pas vrai ? » — Il en convint.

« Même s’il existe b une science capable de rendre immortel, sans savoir tirer parti de l’immortalité, celle-là non plus, semble-t-il, n’est d’aucun profit, à en juger par nos conclusions précédentes. » — Sur tous ces points nous fûmes d’accord. « Nous avons donc besoin, mon bel enfant, repris-je, d’une science qui réunisse à la fois le don de produire et celui de savoir utiliser ce qu’elle produit. — Apparemment, dit-il. — Il s’en faut donc bien, semble-t-il, que nous soyons à la fois habiles fabricants de lyres et en possession c d’une science de ce genre. Car, en ce domaine, l’art qui fabrique est indépendant de celui qui utilise ; ils sont distincts, quoique portant sur le même objet ; l’art de faire une lyre et celui d’en jouer sont, en effet, bien différents l’un de l’autre. N’est-il pas vrai ? » Il en convint. « De même l’art de fabriquer des flûtes : il est clair que nous n’en avons pas besoin davantage ; car lui aussi est de même sorte. » Ce fut son avis. « Mais, par les dieux ! dis-je, si nous apprenions l’art de faire des discours, est-ce lui que nous devrions posséder pour être heureux ? — Je ne crois pas, pour ma part », dit Clinias en réponse.

« Quelle preuve, repris-je, d en as-tu ? »

« Je vois, dit-il, des faiseurs de discours[1] qui ne savent tirer parti de leurs propres discours, de ceux qu’ils composent eux-mêmes, non plus que de leurs lyres les fabricants de lyres : là encore, c’en est d’autres qui ont le talent d’utiliser l’ouvrage des premiers[2] ; il est donc clair aussi dans les discours que l’art de faire est distinct de celui d’utiliser. »

  1. Λογοποιός est employé ici au lieu du mot λογογράφος (professionnel qui compose des plaidoyers à l’usage de ses clients), pour rappeler l’opposition entre ποιεῖν et χρῆσθαι. Faut-il voir dans ces considérations sur l’art des λογοποιοί une allusion ironique à Isocrate (H. Raeder, op. laud., p. 144) ? — On a supposé que plus bas la phrase ἡ τῶν ἐπῳδῶν — κήλησίς ἐστιν visait Thrasymaque de Chalcédoine (cf. Phèdre, 267 d).
  2. Même avec la légère correction de Schleiermacher (voir l’apparat), les mots οἱ — ἀδύνατοι font l’effet d’une intrusion maladroite : ils interrompent le développement sur les faiseurs de discours pour revenir aux fabricants de lyres. Certains critiques gardent le texte en corrigeant λυροποιεῖν en λογοποιεῖν. Mais le tour serait peu clair, οἱ — ἀδύνατοι reprenant, non pas ἐκεῖνοι, mais ἄλλοι.