Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome V, 1.djvu/232

Cette page a été validée par deux contributeurs.
284 a
162
EUTHYDÈME

partie de celles qui sont, indépendamment des autres. — Parfaitement. — Celui qui la dit, reprit-il, dit donc ce qui est ? — Oui. — Mais dire ce qui est et les choses qui sont, c’est dire la vérité[1] ; par conséquent Dionysodore, s’il dit ce qui est, dit la vérité et ne profère contre toi aucun mensonge. »

« Oui, répondit Ctésippe, mais qui parle ainsi, Euthydème, b ne dit pas ce qui est. »

Alors Euthydème : « Les choses qui ne sont pas, dit-il, n’ont point d’existence, n’est-il pas vrai ? — Elles n’en ont point. — Les choses qui ne sont pas n’existent donc nulle part ? — Nulle part. — Y a-t-il donc moyen d’agir à leur égard [, envers ce qui n’est pas,] de façon qu’un individu, quel qu’il soit, fasse ce qui n’est nulle part ? — Ce n’est pas mon avis, dit Ctésippe. — Voyons, quand les orateurs parlent devant le peuple, n’agissent-ils point ? — Bien certainement ils agissent, dit-il. — Si donc ils agissent, ils font aussi ? — Oui. — c Ainsi donc parler, c’est à la fois agir et faire ? » Il en convint. « Par conséquent, reprit l’autre, personne ne dit ce qui n’est pas ; sans quoi il ferait dès lors quelque chose. Or tu as reconnu que ce qui n’est pas, il est impossible à personne de le faire ; il en résulte d’après toi que personne ne ment, et que, si Dionysodore parle, c’est la vérité et la réalité qu’il exprime[2]. »

« Oui, par Zeus ! Euthydème, répliqua Ctésippe, mais la réalité, il la dit d’une certaine manière, et non comme elle est. »

« Qu’entends-tu par là, Ctésippe ? reprit Dionysodore. Y a-t-il donc des gens qui d disent les choses comme elles sont ? — Assurément il y en a, les honnêtes gens et ceux qui disent la vérité. — Voyons, dit l’autre ; le bien n’est-il pas bon, et le mal n’est-il pas mauvais ? » Il l’accorda. « Et les honnêtes gens, reconnais-tu qu’ils disent les choses comme

  1. Ici l’équivoque porte sur τὸ ὄν. La réalité de la parole est prise pour la réalité de la chose exprimée.
  2. Raisonnement d’Euthydème : parler c’est agir (πράττειν), et agir c’est faire (ou produire, ποιεῖν). Parler, c’est donc produire. Or on ne peut agir sur ce qui n’est pas ; on ne peut donc le faire (ou le produire), ni par conséquent le dire ; en d’autres termes, il est impossible de parler faux (ψεύδεσθαι). On voit où est le sophisme. Quand on parle, on produit l’expression d’une chose, mais il est inexact d’en conclure qu’on produit la chose elle-même. Voir la Notice, p. 126.